Idée de moins en moins marginale, la décroissance a été discutée dans plusieurs essais parus au cours des derniers mois. En voici trois qui approfondissent cette pensée voulant que la croissance telle que nous la connaissons soit vouée à l’échec.

Le coureur poussé à bout

Cinéaste indien qui a étudié au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et quitté la vie glamour de Bollywood pour produire du fromage sur une ferme biologique dans les montagnes, Mansoor Khan a développé pendant plusieurs années sa réflexion sur la fin de la croissance. Son essai, paru originellement en 2013, a récemment été traduit en français par Michel Bernard, un Québécois qui l’a rencontré sur ses terres. Dans La voie de la sobriété, Mansoor Khan s’attelle principalement à démontrer l’échec du système économique actuel, basé sur la croissance infinie. Une courbe exponentielle incompatible, selon lui, avec la réalité qui est celle de la finitude des ressources naturelles, laquelle s’illustre notamment par l’atteinte du pic pétrolier.

N’ayant pas perdu ses capacités de raconter, Mansoor Khan utilise une analogie peut-être un peu simpliste, mais aussi facile à comprendre : celle de l’entraîneur et du coureur. Un entraîneur qui affirmerait pouvoir vous faire atteindre la vitesse du son en 18 mois en augmentant vos performances de 7 % chaque semaine se heurterait aux limites du corps. Ainsi en va-t-il pour la Terre, dit l’écologiste. Devant ce constat, il élabore une troisième courbe, celle de la sobriété énergétique, et d’une transition vers un état stationnaire de l’économie où la modération, la résilience, le sens communautaire, l’alimentation locale et une agriculture alternative sont la clé.

La voie de la sobriété : la troisième courbe ou la fin de la croissance

La voie de la sobriété : la troisième courbe ou la fin de la croissance

Écosociété

248 pages

Pour tout comprendre de la décroissance

Avec Ralentir ou périr, son premier essai, l’économiste français Timothée Parrique nous offre un condensé fort complet et digeste de la pensée décroissante. Qu’on veuille s’y initier ou approfondir le sujet, cet ouvrage est à déposer sur sa table de chevet. Lorsqu’il s’attelle à démontrer, de façon exhaustive, avec des images concrètes et plusieurs références, pourquoi l’économie ne peut croître à l’infini et pourquoi le découplage – la dissociation entre la croissance du produit intérieur brut (PIB) et les conséquences environnementales – n’est pas possible, le chercheur en économie écologique à l’Université de Lund, en Suède, est convaincant. « Le PIB est en bonne partie une agitation aveugle, stimulée aussi bien par l’essor des choses essentielles que par l’amoncellement de choses inutiles », écrit-il.

Calculs à l’appui, il argue qu’au-delà d’un certain seuil, qui a depuis longtemps été dépassé, une hausse du revenu national (français, dans ce cas) n’augmente pas les revenus des plus démunis.

Mais comment s’affranchit-on de cette logique d’accumulation qui sert avant tout les mieux nantis ? L’économiste expose des mesures concrètes, pour plusieurs révolutionnaires, généralement acceptées par les penseurs du mouvement : baisse de la production, abolition de la publicité, baisse du temps de travail salarié, mais accroissement du temps d’activités non rémunérées, instauration d’un revenu minimum social garanti, moins de courtiers immobiliers, mais plus d’aides-soignants. Est-ce le synonyme d’une récession ? Pas si cette transformation est planifiée et organisée, répond l’auteur, qui parvient à rendre séduisante cette proposition articulée autour du bien-être et de la justice sociale.

Ralentir ou périr : l’économie de la décroissance

Ralentir ou périr : l’économie de la décroissance

Seuil

320 pages

La décroissance, d’hier à demain

The Future Is Degrowth est un essai, paru en anglais l’été dernier, qui était attendu chez ceux et celles qui s’intéressent à la décroissance. Il s’agit en fait de la traduction d’un court ouvrage publié en Allemagne par les auteurs Matthias Schmelzer (historien de l’économie) et Andrea Vetter (anthropologue culturelle) et qui a été bonifié avec l’aide du Montréalais Aaron Vansintjan, cofondateur du site web Uneven Earth.

Appelant à un affranchissement du système économique capitaliste qui accentue les inégalités Nord-Sud et dépouille la Terre de ses ressources, les auteurs proposent une recension des divers écrits et courants de pensée qui ont émané des penseurs de la décroissance depuis les balbutiements de ce mouvement politique dans les années 1970. Rédigé dans un style plutôt académique, l’essai ne vise pas les néophytes.

Le trio se fait critique face aux propositions du Green New Deal (ou pacte vert) qui mise davantage sur une décarbonation de l’économie que sur sa décroissance, et face à l’utilisation du PIB comme mesure de développement économique. Prônant plutôt l’adoption d’un système post-capitaliste détaché de la croissance, il démonte les critiques qui voient dans cette proposition un retour à l’âge de pierre.

Il faut toutefois se rendre jusqu’aux derniers chapitres de cet ouvrage plutôt aride pour en apprendre davantage sur ce que les auteurs proposent : un nouveau modèle de société, élaboré autour de la justice sociale, où l’accent est mis sur les coopératives, où le travail de « prendre soin » est reconnu et où un revenu minimum de base est garanti. Mais comment un tel bouleversement peut-il réalistement être mis en place ? Bien que cet ouvrage amène des pistes concrètes, il nous laisse aussi sur notre appétit.

The Future Is Degrowth : A Guide to a World Beyond Capitalism

The Future Is Degrowth : A Guide to a World Beyond Capitalism

Verso

320 pages