Sur le tableau blanc interactif, devant la classe, une photo est projetée. On peut y voir deux enfants africains en train d’écrire sur des cahiers avec des crayons de couleur.
En fait, seule la moitié des élèves voient l’image, partiellement ; l’autre moitié des élèves sont non-voyants. Nous sommes à l’école Jacques-Ouellette, à Longueuil, un établissement qui accueille des élèves ayant un handicap visuel. Dans cette classe spéciale, les élèves ont de 15 à 21 ans, ils ont des acquis de niveau primaire et ils suivent un programme d’insertion sur le marché du travail.
En ce vendredi matin, leur enseignante Sandra Prémont décrit en détail l’image des deux enfants tanzaniens, qui découvrent les crayons de couleur pour la première fois de leur vie. Le message qui accompagne la photo invite les élèves à chérir la chance qu’ils ont d’avoir tout ce matériel scolaire.
Dans la classe, les élèves poussent un soupir d’attendrissement. « Ça me fait chaud au cœur… », dit Laurence Dolbec, 17 ans.
Une ou deux fois par semaine, Sandra Prémont présente à ses élèves les publications de la page Instagram Plein leurs yeux, alimentée par la Québécoise Edith Lemay. Edith et son conjoint, Sébastien Pelletier, font un voyage d’un an pour montrer le monde à leurs quatre enfants, dont trois sont atteints de rétinite pigmentaire, une maladie dégénérative de l’œil qui entraîne une perte de vision graduelle.
Par procuration, les élèves de Sandra Prémont vivent aussi cette grande aventure. Et ils tiennent mordicus à cette activité, qui s’inscrit dans leur cours d’univers social. « Si l’horaire change, ils se chargent de me le rappeler ! », dit l’enseignante.
Ce jour-là, Sandra leur décrit aussi des photos d’un bateau de pêcheurs sur le lac Nyassa, d’une femme qui prépare le manioc, d’une plage sablonneuse, des enfants qui mangent de la canne à sucre… Elle décrit le type d’habitations, la couleur du ciel, les textures, l’ambiance… Plusieurs élèves vivent avec leur handicap visuel depuis la naissance.
Les élèves demeurent silencieux, attentifs. On les sent réellement émerveillés.
« Je suis capable très facilement de m’imaginer les voyages. Je trouve ça vraiment beau, ce qu’ils font, dit Laurence Dolbec, non-voyante depuis l’âge de 2 ans. J’aurais aimé vivre ça, moi aussi, avant de perdre la vue. »
Quand Sandra leur en a parlé pour la première fois, les élèves ont été touchés par la destinée des trois enfants de la famille Lemay-Pelletier, qui, à moins d’une avancée scientifique, perdront la vue au courant de l’âge adulte.
« C’est de valeur qu’ils vont perdre la vue, mais quand ils ne vont plus voir, ils vont pouvoir voyager quand même », souligne Laurence, qui a elle-même plusieurs rêves de voyage en tête.
« Personne ne choisit sa différence ou son handicap, mais on choisit comment on vit avec », ajoute Florence Brodeur, 19 ans. Chloé Pelland-Lambert, 17 ans, est bien d’accord. « Si tu es non-voyant, ça ne veut pas dire que tu ne peux rien faire ; tu vas simplement vivre la vie différemment. »
Les élèves ont d’ailleurs tenu à nous montrer les locaux de leur programme, le CFER, où ils apprennent à déchiqueter des documents. « En entreprise, ils sont tellement débrouillards », conclut Sandra Prémont.