Il a été difficile d’échapper à l’hiver, ces derniers temps. Aussi une bonne portion de Québécois a-t-elle décidé d’enfin s’y abandonner, dont notre journaliste, qui n’a pas choisi le moyen le plus commun pour apprendre à aimer la saison froide.
« Je vais perdre mes pieeeeeeeds ! » C’est la panique. Je ne marcherai plus jamais après cette première (et probablement dernière) plongée d’hiver, c’est sûr ! Mes chaussettes en néoprène ne font que 3 mm d’épaisseur. Grave erreur de débutante.
« Est-ce que ça fait mal ? », me crie le fou en chef, qui a organisé cette randonnée palmée dans un fleuve Saint-Laurent glacial. « Ouiiiiiiiiii… », réussit à prononcer ma bouche quasi paralysée par le froid. « Good. On devrait pouvoir les réchapper. »
Et en effet, après quelques minutes dans une glacière remplie d’eau chaude, mes pieds reviennent à la vie et la peur fait place à une grande fierté. Voilà comment, par une très polaire journée de la fin de décembre 2021, j’ai enfin commencé à aimer l’hiver.
Oui, il faut parfois avoir recours à des mesures extrêmes pour qu’un vrai changement s’opère. Surtout en ce qui concerne la saison froide, mal aimée par tant de Québécois. Une pandémie mondiale et l’annulation de presque toutes les activités intérieures, par exemple, semblent avoir mené à une appréciation forcée de l’hiver.
Certes, une activité comme la plongée « avec » ou « sous » glace n’est pas accessible au commun des mortels. En apnée (rétention de souffle, sans bonbonnes d’air), c’est encore plus vrai, la relaxation étant une composante essentielle du sport. Plus on est détendu, moins on consomme d’oxygène. Mais essayez de vous détendre dans une eau à zéro, avec les extrémités gelées et une couche de glace au-dessus de la tête !
Guerrières de l’hiver
Les circonstances entourant la COVID-19 ont mené de nombreuses personnes au dépassement de soi, même involontaire. C’est le cas, par exemple, de Marika Bonetti, qui s’est mise à la course en sentiers et qui a augmenté la cadence et la difficulté de ses sorties en ski de randonnée dans les Chic-Chocs, entre autres. Sa conversion à l’hiver était déjà amorcée depuis quelques années, mais a été intensifiée par le grand besoin de « jouer dehors » engendré par les confinements.
« Il a fallu que j’arrive en haut d’une montagne en pleurs pour enfin faire la paix avec l’hiver, nous raconte la sportive. C’était au mont Lyall. J’avais des larmes sous mon masque pendant l’ascension de deux heures. Mais immédiatement après, j’ai décidé de remonter, comme pour cristalliser l’expérience. Ça m’a tellement donné confiance en moi que je me suis sentie beaucoup plus forte et apte à faire toutes sortes de choses par la suite.
« Je n’ai jamais été le genre de personne qui tripe à faire du ski dans les centres et à se geler dans le remonte-pente, poursuit celle qui travaille à l’organisation d’évènements pour la société Red Bull. Mais en hors-piste, on bouge sans arrêt et on a même chaud. »
En ce troisième hiver marqué par la COVID-19, Marika a rempli toutes ses fins de semaine avec la course et le touring.
Je n’ai plus à me poser de questions. Qu’il fasse -5 ou -30, j’y vais ! Je sais le bien-être que je vais ressentir après, et c’est ça qui me motive plus que tout.
Marika Bonetti, adepte de la course en sentiers et du touring
Pas de mauvaise météo !
Pour Audrey Ruel-Manseau, c’était non seulement une question de bien-être, mais de survie. « J’avais l’habitude de partir l’automne ou l’hiver pour aller surfer. L’an dernier, avec les restrictions de voyage, je me suis dit que je ne passerais pas au travers si je ne pouvais pas surfer. Alors à l’automne 2020, j’ai continué, puis j’ai finalement décidé de m’équiper pour surfer l’hiver, avec un wetsuit plus épais qui a une cagoule intégrée, avec des mitaines, avec des bottes chaudes. »
La journaliste avoue détester le froid.
Mais j’aime plus le surf que je déteste le froid !
Audrey Ruel-Manseau, qui pratique le surf même l’hiver
Et sa solution pour aimer davantage l’hiver – outre se tenir en équilibre sur une planche dans les eaux glacées et tumultueuses du fleuve Saint-Laurent – est de multiplier les activités. Les conditions ne sont pas toujours bonnes pour le surf. La présence de gros blocs de glace est gênante et le froid extrême peut avoir raison de la courroie de sécurité, par exemple.
Elle a donc acheté des skis de randonnée. « Maintenant, quand il y a une tempête, au lieu de chialer parce que je vais devoir déneiger, je pense au ski. Il n’y a pas de mauvaise météo, il n’y a que de mauvais vêtements et du mauvais équipement. »
Sylvie Laitre est d’accord avec cette affirmation. « Cet hiver, mon pantalon de neige est toujours près de la porte. Ce n’est plus un vêtement qui reste au fond du garde-robe. » L’ex-frileuse qui a vécu au Mexique pendant 15 ans a réappris à vivre l’hiver à son retour au Québec, il y a 10 ans. Mais c’est pendant la fameuse relâche scolaire de 2020 où le monde a basculé en mode COVID-19 qu’elle a commencé à vraiment l’apprécier.
« Je suis remontée sur mes skis pour la première fois depuis plus de 30 ans. Jeune, j’avais eu un accident de ski grave, qui m’avait fait passer une semaine à l’hôpital. L’hiver dernier, j’y ai repris goût et cet hiver, quand j’ai vu que tout refermait, rouvrait, refermait, je me suis dit qu’il fallait que je fasse quelque chose, sinon, j’allais étouffer.
C’est devenu un besoin viscéral d’aller respirer dehors.
Sylvie Laitre
De l’art dans l’hiver
Pour une bonne majorité de gens, l’appréciation de l’hiver semble passer par les activités sportives. Mais ce n’est pas le cas de l’artiste Olivia Sofia. « Avant, l’hiver, je passais vraiment beaucoup de temps à lire et je ne sortais pas. Je me confortais en me disant : y a vraiment rien à faire. Mes profs de ballet m’avaient toujours dit qu’il ne fallait pas que je patine parce que j’aurais de trop grosses cuisses et qu’en ski, j’allais me blesser. Alors l’hiver, pour moi, c’était juste un mal québécois à endurer. »
Puis l’artiste multidisciplinaire s’est mise à marcher en écoutant des balados.
J’ai marché pendant des heures sans même penser à la température.
Olivia Sofia
Avec ses colocataires, l’hiver dernier, elle a créé un jardin d’hiver dans sa cour montréalaise, un grand fort en version adulte, avec des bougies et des apéros.
Puis il y a eu le banquet d’hiver, dans la petite île du parc Jarry, avec une table en neige décorée d’éléments naturels. « On servait du vin chaud, les gens s’arrêtaient, restaient un peu. Ça a fini par durer cinq heures », raconte celle dont la pratique est centrée sur les moments de communauté.
Le mois dernier, c’était un petit « rave des neiges », danse silencieuse où une vingtaine de personnes se sont trémoussées dehors sur une liste créée par la rassembleuse jeune femme. Qu’importe la façon, chacun peut trouver son bonheur hivernal.