Les plateformes de réseaux sociaux cliqueront-elles sur « J’aime » pour cette année 2021 ? Si l’on considère la hausse de leurs utilisateurs et de leurs revenus, probablement. Mais certainement pas du point de vue de leur image, fortement ternie par de nombreuses controverses.

Laxisme à l’égard de la désinformation, fuites de données personnelles, pannes majeures, accusations de toxicité pour la jeunesse : en 2021, l’activité sismique a été intense pour les réseaux sociaux, particulièrement pour Facebook.

La première secousse est arrivée très tôt, avec l’assaut du Capitole à Washington, à l’issue duquel des experts ont pointé leur « rôle indirect » dans cette équation explosive. Les tuiles se sont ensuite accumulées – entre piratages, complotisme florissant et personnalités publiques quittant le navire numérique – jusqu’au paroxysme de la défiance : l’éclosion des Facebook Papers, révélant au grand jour le côté obscur de l’empire Zuckerberg, avec les témoignages et la divulgation de milliers de documents par Frances Haugen, une ancienne chef de produits de la société.

PHOTO BRENDAN SMIALOWSKI, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ex-employée de Facebook Frances Haugen a transmis de nombreux documents démontrant que les responsables de la plateforme ont privilégié la recherche de profits et le sensationnalisme au détriment de la sécurité des utilisateurs et de la véracité des informations.

Un consortium de journalistes a ensuite pu décortiquer ces données, dans lesquelles on apprenait notamment comment les responsables de la plateforme avaient laissé l’algorithme privilégier les publications haineuses et controversées au détriment d’une modération efficace. Les impacts d’Instagram sur l’estime de soi des adolescents ont aussi été soulevés. Diverses pistes de solution, pourtant esquissées à l’interne, auraient été ignorées, par crainte de nuire à la croissance de l’entreprise en matière d’audience et de revenus.

Selon Nadia Seraiocco, chargée de cours à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), 2021 s’inscrit dans un crescendo d’évènements amorcé les années précédentes. « C’est une situation qui bout depuis longtemps. Quand on pense à l’affaire Cambridge Analytica ou à la vague de boycottages de l’été 2020, on voit qu’une prise de conscience s’était faite. Mais même si on s’en doutait, on n’avait jamais les preuves du fonctionnement de ces mécanismes, parce que les algorithmes des réseaux sociaux sont des boîtes noires », rappelle-t-elle.

L’affaire des Facebook Papers constitue pour elle le fait saillant de l’année, l’émergence de pièces à conviction représentant un palier significatif.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Nadia Seraiocco, chargée de cours à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal

Par la mécanique, par les tests de journalistes, on savait déjà qu’il y avait quelque chose de mal ajusté chez Facebook. Mais là, on en a eu les preuves.

Nadia Seraiocco, chargée de cours à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal

« Avec ce qu’a publié Frances Haugen, on comprend qu’il y a un laisser-aller qui est très grand, ajoute-t-elle. On a appris par exemple que les émotions très fortes, comme les émojis “fâché” et “wow”, étaient privilégiées dans le système de pointage des publications. »

Des réseaux sociaux surmédiatisés ?

De son côté, la stratège en communication numérique Nellie Brière affirme que 2021 a effectivement été une annus horribilis pour l’image des réseaux sociaux. Mais d’après elle, cette situation résulte en partie d’une surexposition journalistique, les médias traditionnels tapant à la moindre occasion sur le clou de ces plateformes qui ont progressivement grugé leurs revenus.

« Une espèce de guerre de tranchées s’est installée, et qui en pâtit ? Les journalistes. Ça va teinter leur façon de couvrir ce genre d’information. Tout ce qui inquiète génère de l’intérêt dans les médias : dire que Facebook est le diable, c’est rentable. Cela explique pourquoi l’image des réseaux sociaux a été extrêmement écorchée, et pas toujours de façon légitime », lance Mme Brière.

Règlement de comptes

Cela s’est vu précédemment, mais 2021 a connu son lot de personnalités claquant la porte des réseaux sociaux ou les fustigeant : Safia Nolin a repris son sevrage d’Instagram dès février ; Dany Turcotte s’est déclaré échec et mat de Tout le monde en parle en dénonçant leur pression (« Perturbé par plusieurs tempêtes de médias sociaux vécues au cours des années, ma confiance s’est peu à peu érodée ») ; le maire de Verdun a abandonné l’idée d’un troisième mandat, épuisé notamment par les attaques en ligne ; l’ex-joueur du Canadien Brandon Prust a quitté Twitter, après y avoir déclenché une tempête...

PHOTO GRAHAM HUGHES, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Dany Turcotte a quitté l'émission Tout le monde en parle en dénonçant la pression des réseaux sociaux.

Pas de quoi lisser l’image de ces plateformes. « Cela a un impact dans le sens où je vois, plus qu’avant, de plus en plus de gens prendre des pauses ou réduire leur présence en ligne », constate Mme Seraiocco. « Quand ça vient de gens comme Dany Turcotte ou d’autres vedettes, cela fait réfléchir la population, qui prend conscience qu’on peut s’en abstenir », poursuit-elle. Des sorties qui sont susceptibles d’inquiéter Facebook : « Ils ont un sérieux problème d’image, et même si cela ne touche pas encore trop leurs revenus, ils doivent craindre que ça finisse par le faire. »

Là encore, Nellie Brière nuance le tableau en pointant la situation particulière de ces gros noms, qui amplifient l’écho négatif. « Les personnalités publiques sont les plus grandes victimes des aspects négatifs des médias sociaux, et leur parole a une grande portée. C’est bien épouvantable quand tu es Dany Turcotte ou Safia Nolin, mais dans un réseau d’amis et de famille, ce n’est pas la même réalité. Cela a beaucoup teinté cette image négative », souligne-t-elle.

Image en berne, succès sans bornes

Les controverses n’ont pas enrayé la croissance des réseaux sociaux en 2021.

400 millions : c’est le nombre d’utilisateurs supplémentaires captés par les réseaux sociaux entre octobre 2020 et octobre 2021, soit une hausse de 9,9 %

9,2 milliards : profit net de Facebook au troisième trimestre 2021, soit 17 % de plus par rapport à l’année précédente

Sources : AFP, We Are Social

Des actions pour 2022 ?

Face aux défis soulevés, comme la prolifération du complotisme et de la désinformation, qui ont trouvé un terreau fertile dans les réseaux sociaux cette année, les actions des plateformes seront-elles suffisantes pour aborder 2022 sereinement ? On a vu des pages et des comptes être fermés au fil de l’année, notamment sur YouTube, des messages d’avertissement apparaître, mais aussi des changements de garde (Jack Dorsey, cofondateur de Twitter, vient de passer le flambeau de la direction). Mais selon Nadia Seraiocco, chargée de cours à l’École des médias de l’Université du Québec à Montréal, les « opérations de relations publiques » ne suffiront pas. « Fermer quelques pages et comptes, c’est bien beau, mais si la mécanique de base est encore là, c’est la structure qu’il faut revoir. »

Une année 2021 houleuse

  • Janvier : le Capitole est pris d’assaut par des partisans de Donald Trump. Des experts accusent Facebook et Twitter de leur avoir servi d’arrière-base. Twitter exclut définitivement Donald Trump.
  • Mi-janvier : une modification des conditions d’utilisation de WhatsApp provoque un tollé, faisant craindre une tentative de collecte et de partage de données.
  • Février : des personnalités, comme Dany Turcotte et Safia Nolin, dénoncent la haine sur les réseaux sociaux.
  • Avril : quelque 500 millions de comptes LinkedIn sont piratés. Les données de 500 millions de comptes Facebook, piratés deux ans plus tôt, sont publiées sur un forum.
  • Juin : une nouvelle fuite de LinkedIn touche 92 % des utilisateurs, soit 700 millions de comptes. Donald Trump est banni de Facebook pour deux ans.
  • Septembre : le Wall Street Journal publie une série d’articles accablants se basant sur des documents internes de Facebook transmis par une source anonyme.
  • Septembre : le projet d’une version d’Instagram destinée aux enfants est mis en pause.
  • Octobre : une panne de plus de six heures paralyse Facebook et ses plateformes Instagram, WhatsApp et Messenger. L’action chute en Bourse.
  • Octobre : la lanceuse d’alerte Frances Haugen sort de l’ombre, et un consortium de médias accède à des milliers de documents embarrassants pour Facebook. L’entreprise, qui rétorque que l’image dépeinte est fausse, annonce peu après un changement de nom : Meta.
  • Novembre : Jack Dorsey, cofondateur de Twitter, cède son siège à Parag Agrawal.