Papier et crayons ne sont jamais bien loin, lorsqu’on est enfant. Mais qu’en est-il des adultes ? Pourquoi arrête-t-on soudainement de dessiner, quand la vie devient plus « sérieuse » ? Depuis quelques semaines, des comptes Instagram nous encouragent à laisser nos écrans, nos angoisses et nos ego de côté, le temps d’un dessin.
Les amies Léonie Lévesque-Robert, maquilleuse de plateau qui a étudié en arts au cégep, à Québec, et Marie-Josée Goulet ont lancé le compte Instagram À vos crayons le 20 mars. « Tout le monde peut jouer ! Un thème par jour », ont-elles simplement annoncé.
Rapidement, le compte a attiré près de 1200 abonnés, dont quelques artistes de profession (la peintre Josiane Lanthier, l’artiste Karine Locatelli, l’illustrateur Jérôme Mireault, l’illustratrice Valéry Lemay), quelques célébrités (l’autrice Sarah-Maude Beauchesne, les actrices Juliette Gosselin et Catherine St-Laurent) et plein de néophytes. Le tandem a même reçu des messages de travailleurs de la santé qui disent se détendre avec leurs feutres en rentrant du boulot.
> Consultez le compte À vos crayons
Je suis convaincue du fait que tout le monde peut dessiner, dans la vie. Il faut laisser son ego de côté.
Léonie Lévesque-Robert, l’une des deux amies à l’origine du compte Instagram À vos crayons
Tous les matins, vers 9 h, Marie-Josée (qui vit maintenant en Suisse) dévoile le thème du jour. Jardinage, Félin, Cirque, La Mer, Autoportrait, Carnaval, Piquant, etc., ont donné lieu à de savoureuses interprétations. La boîte de messages privés d’À vos crayons reçoit quotidiennement de 25 à 60 dessins, presque tous relayés, en publication permanente ou en « story ».
« J’ai hâte le matin qu’À vos crayons publie le thème du jour », confie Elisabeth Cardin, copropriétaire du restaurant Manitoba, qui manie crayons et pinceaux depuis quelques années déjà. Confinée à Montréal, elle aurait sans doute préféré préparer sa saison de pêche et de cueillette dans le Kamouraska, plans estivaux qui ont été compromis par la crise actuelle. Mais le papier et le crayon — que ce soit pour y coucher des mots ou des images — l’aident à garder le moral.
« C’est comme aller pêcher à la mouche, sans y aller pour vrai. Pendant 30 minutes, 1 heure, 4 heures, mon cerveau arrête de penser à autre chose qu’à cette rivière-là, à ce dessin-là, right here right now. En période de confinement, c’est encore plus significatif. Tu fais avec les moyens du bord, tu choisis un de tes rêves et tu le réinventes sur un papier, en attendant de pouvoir le réaliser en vrai. C’est un moyen d’expression très libre, de la poésie sans mots », nous disait la restauratrice, la semaine dernière.
Autres initiatives
L’illustratrice américaine Carson Ellis a transformé son compte Instagram en Quarantine Art Club, le 16 mars. Elle propose également un thème par jour. Certaines écoles d’art, ne pouvant offrir leurs cours de groupe en ce moment, envoient aussi des « travaux » hebdomadaires à distance, avec instructions et références. C’est le cas des Ateliers C, dans Villeray, par exemple.
> Consultez le compte de Carson Ellis
Delphine Huguet, artiste dont l’approche mêle nourriture, design, photographie et arts graphiques, a ouvert le compte Corona Drawing Project le 14 mars.
Elle invite les abonnés à dessiner leur intérieur pendant le confinement. Pas leurs organes internes, s’entend, mais leur déco !
> Consultez le compte Corona Drawing Project
« Pour l’instant, j’ai l’impression que ça attire surtout les designers et architectes, ceux qui s’intéressent déjà aux objets et aux espaces. Moi-même, j’ai fait du croquis et des plans, dans le passé, mais je ne dessinais jamais que pour le simple plaisir de dessiner. Puis j’ai demandé des feutres couleur chair pour Noël et passé toute une journée à les tester. J’ai dû faire 15 à 20 essais et j’ai trouvé vraiment intéressant de voir comment ma pensée, mon regard évoluaient avec chaque dessin. » Le résultat de cette expérimentation, l’œuvre Les Nœuds (de seins), est d’ailleurs « exposé » sur le compte Instagram Galerie Atelier b.
> Consultez le compte Galerie Atelier B
En confinement solo, tout comme Léonie et Elisabeth, Delphine apprécie la manière dont le dessin meuble le temps, ces jours-ci. « Je n’arrive plus à me concentrer longtemps. Tous ces appels à la productivité, à la création de choses extraordinaires semblent me bloquer. Alors je travaille sur plein de projets, pendant de courtes périodes de temps, comme un enfant ! Je construis des choses en bois, je photographie des “nœuds de saucisse”, je fais du yoga, je cuisine, je dessine… »
Ces initiatives nées pendant la crise ont-elles un avenir au-delà de celle-ci ? Dans le cas d’À vos crayons, on songe à un encan virtuel pour amasser des fonds. L’argent serait remis à un organisme venant en aide aux plus touchés par la crise. Une exposition virtuelle pourrait également être mise sur pied.
Mais pour l’instant, on dessine surtout pour lâcher prise devant un avenir incertain et pour ra-len-tir.