Le bonheur est rarement facile ou permanent. Qu’à cela ne tienne, cet état de grâce est à la portée de tous, malgré les épreuves de la vie, voire grâce à elles. La Presse rencontre chaque semaine quelqu’un qui semble l’avoir apprivoisé.

Les vêtements « mous » sont à peu près les seuls qui ont une chance de se vendre, par les temps qui courent. Geneviève Lorange, elle, a décidé d’en donner. Pour chaque pyjama ou paire de pantoufles achetés sur le site de son entreprise, Bigarade, elle offre l’équivalent à une dame âgée confinée à sa résidence. C’est sa manière de répandre un peu de bonheur en cette période d’isolement.

Bigarade s’est fait connaître au Québec dès 2015, en proposant de la literie fine faite à la main. Housses de couette, draps et coussins de très grande qualité sont les spécialités de la marque qui, comme bien d’autres, ne vit pas ses meilleurs jours. Les pyjamas sont une production marginale pour la petite entreprise qui possède une boutique dans Hochelaga. Ils ne sont généralement vendus que dans le temps des Fêtes.

Une histoire de famille

Ceux et celles qui connaissent un peu l’histoire de la créatrice ne seront pas surpris d’apprendre que Geneviève a dirigé son élan de générosité vers les grands-mamans, même si la principale intéressée nous assure que c’était un choix inconscient. Après tout, elle doit son amour des travaux d’aiguille à la sienne, Estelle, décédée peu de temps après l’ouverture de sa boutique, en 2016.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

La boutique-atelier Bigarade est fermée depuis la semaine dernière, pour une durée indéterminée, mais Geneviève continue de s’y rendre pour travailler sur ses projets personnels. 

Gamine, Geneviève aidait souvent sa grand-mère quand elle allait la retrouver au chalet familial dans les Laurentides, l’été. « Elle m’a appris à coudre si jeune que j’ai probablement su coudre avant même de savoir faire du vélo ! », raconte la jeune femme aujourd’hui. Elle n’avait pas 10 ans qu’elle fabriquait elle-même les vêtements de ses poupées. Puis, ce furent les costumes d’Halloween, les coussins et les rideaux de son premier appartement », écrivait notre collègue Violaine Ballivy dans La Presse, en août 2015.

Qui plus est, chaque Noël, grand-maman Estelle offrait un pyjama à ses petits-enfants. « Plus jeune, je trouvais ça un peu plate, évidemment, parce que j’aurais préféré des jouets. Mais plus tard, je l’attendais avec impatience, mon pyjama ! » Aussi la généreuse couturière souhaite-t-elle que ce soit un peu la fête pour les dames âgées esseulées. Elle leur confectionnera même une carte de souhaits à la main.

« J’ai perdu mes deux grands-mères en même temps. Elles sont décédées la même nuit. Je dois m’ennuyer d’elles », admet la femme de 36 ans.

Se tenir occupée

Geneviève se qualifie d’hyperactive. « J’ai toujours 2000 projets en même temps. Hier, j’ai fait des semis jusqu’à 21 h ! », nous racontait-elle, mercredi matin. Elle fait aussi les dernières corrections d’un livre portant sur ses souvenirs d’enfance et les textiles, un ouvrage « très cocooning, feel good, un peu nostalgique avec une touche d’écoresponsabilité ».

Même si sa boutique est fermée depuis que le gouvernement en a donné la consigne, la semaine dernière, elle s’y rend quotidiennement. « J’ai la chance d’avoir un deuxième lieu où je peux aller tourner en rond ! En fait, un des aspects positifs de ce qui se passe en ce moment, c’est que ça me permet de profiter de mon atelier. Depuis que je l’ai ouvert, je l’ai toujours vu à travers mon regard d’entrepreneure et là, je suis en train de prendre conscience du fait que j’ai créé un espace de rêve.

« J’y vais pour réaliser des projets personnels que je n’ai jamais le temps de faire. Je suis en train de me confectionner toute une collection de vêtements d’été ! », raconte celle qui a étudié le design de mode et le design industriel.

Malgré tout ce qui l’occupe, Geneviève avoue ne pas avoir sa motivation matinale habituelle. « Normalement, je commence ma journée avec un cours de yoga à 7 h. Là, j’ai du mal à me lever le matin. Je n’ai plus de routine. Mais une fois sortie du lit, je me mets en branle et j’essaie d’en profiter à fond. »

QUESTIONNAIRE BONHEUR… AU TEMPS DU CORONAVIRUS

Que fais-tu pour garder le moral ?

« Je ne me sens pas mélancolique, juste un peu déroutée et déracinée. Alors je me plonge avec volupté dans ce que j’ai toujours aimé faire et dans tout ce qui me fait vibrer. En temps de quarantaine, c’est comme si enfin il y avait plus de place pour des émotions qu’on réprime si souvent, pour être efficace. Je me permets de les vivre. »

Qu'est-ce qu'il y a sur ton écran ?

« Un grand classique de film romanesque à regarder en temps de pandémie, Le hussard sur le toit. C’est une sublime histoire d’amour et d’espoir qui se déroule à l’époque du choléra. »

Qu'est-ce que tu cuisines ?

« Des plats réconfortants ! J’ai ressorti les recettes de ma grand-mère, justement, et des vieux numéros spéciaux de Coup de pouce, « Les meilleures recettes de nos mères ». Mais je suis végétarienne, alors je dois adapter les lasagnes, quiches, pâtés chinois. Je ne mangeais presque plus de fromage, mais là j’en mets partout ! »