C’était il y a plus de 20 ans. Quatre trentenaires célibataires débarquaient au petit écran. Des femmes indépendantes qui décidaient ici de vivre leur sexualité (et surtout d’en parler) comme les hommes : de manière assumée et surtout libérée. À l’heure de Tinder, des identités fluides et du polyamour, la série a-t-elle bien vieilli ? Ou pas ? Des femmes (et des fans) se prononcent.

Ce qui a mal vieilli

L’absence de diversité

PHOTO MARK LIDDELL, FOURNIE PAR HBO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Les quatre actrices principales de Sex and the City, Kim Cattrall, Cynthia Nixon, Sarah Jessica Parker et Kristin Davis 

Les observateurs (trices !) sont unanimes. Quand on revoit Sex and the City aujourd’hui (SATC), la série qui a cartonné sur HBO de 1998 à 2004, certains détails, discours, et surtout la distribution choquent. Font époque. Au-delà du fait que Carrie fume, ou parle dans un téléphone à fil. Car même s’il y a encore quelque chose de franchement libérateur à entendre ces quatre trentenaires discourir de manière aussi décomplexée de leurs préférences (et réticences) en matière de sexe oral, à l’heure du brunch ou autour d’un Cosmo, leur uniformité choque. Leur consumérisme, aussi assumé (bling-bling, et fabulouuus) soit-il, aussi. « C’est une série éminemment blanche », dénonce aussi Martine Delvaux, chercheuse féministe à l’origine d’une étude sur le sexe dans les séries télévisées. « Aujourd’hui, ça ne passerait plus. » Blanche, héréto, mince, professionnelle et riche, renchérit Viviane Couto, chercheuse en études cinématographiques, à qui l’on doit un mémoire sur SATC. « Dans le New York de SATC, des personnes issues de milieux sociaux différents ne se côtoient pas. »

La quête du prince charmant

Certes, les quatre héroïnes sont célibataires, imparfaites, libres, indépendantes et officiellement libérées. Mais le sont-elles tant que ça ? La quête du prince charmant (« the one ! ») est constante, dominante, et surtout récurrente (malgré la légèreté impayable de Samantha, allergique s’il en est à l’engagement). Aucune ouverture, ici, vers des modèles moins traditionnels ou plus ouverts. Le fameux Big prend une place démesurée, notent aussi les critiques. Et que dire de la finale à l’eau de rose, plus conventionnelle qu’un conte de fées ? Même Candace Bushnell (l’auteure des chroniques à l’origine de la série) l’a avoué, dans les pages du Guardian l’an dernier. « L’émission était devenue trop grosse, c’est du show-business, pas de l’art, on l’a faite [cette finale] pour le public… », a-t-elle reconnu.

PHOTO TIRÉE DE LA PAGE INSTAGRAM @WOKECHARLOTTE

– J’aime les étiquettes. Gai, hétéro, choisis-en une et garde-la. – Charlotte, chérie, c’est non. Juste non. Dire que la bisexualité est un choix au XXIe siècle, c’est juste non !

Charlotte

Le personnage de Charlotte, conservateur au cube, a terriblement mal vieilli. Même les plus grands fans de la série, comme l’auteure et actrice Sarah-Maude Beauchesne, qui avoue la regarder religieusement chaque année, trouve la brunette puritaine totalement « désuète ». De là à condamner l’émission, il y a un pas que personne n’est ici prêt à faire. Au lieu de quoi, certains ont tenté de moderniser quelques dialogues, histoire de les mettre au goût du jour. C’est le cas de Chelsea Fairless, designeuse et fan devant l’éternel, à l’origine des comptes Instagram @WokeCharlotte et @everyoutfitonsatc (un hommage aux looks de la série), qui a réussi un coup de maître : transformer virtuellement le personnage de Charlotte en icône LGBTQ, grande défenderesse des causes progressistes, à l’heure des identités plus fluides et du consentement. Voyez par vous-même comment elle répond (de manière fictive, on l’aura compris) ici à Carrie qui ne croit pas à la bisexualité, ou encore à Samantha, qui dénigre les trans. Du bonbon.

Toujours dans le coup

L’amitié entre femmes

Voilà qui est toujours aussi rafraîchissant : des portraits de femmes totalement différentes (même si elles sont belles, minces et blanches, on l’a dit), « avec différentes manières d’être femmes », résume Julie Ravary-Pilon, stagiaire postdoctorante à l’Institut de recherches en études féministe à l’UQAM, spécialisée en culture populaire. Elles expriment leurs opinions, leurs choix, dans le respect et toujours le non-jugement. « Ce sont ces amitiés qui me touchent le plus », renchérit Sarah-Maude Beauchesne, pour qui SATC est sans hésiter la « série préférée », même si elle n’avait que 6 ans lors de la diffusion de la toute première saison ! « Leur amitié est exemplaire : même si elles sont imparfaites, elles sont là, les unes pour les autres, dit-elle. Et moi aussi, le centre de ma vie, ce sont mes amies de fille. » Comme quoi certaines choses ne changent pas. Technologie, réseaux sociaux, ou pas.

Le franc-parler

Faut-il le répéter ? Avec SATC, on a enfin osé parler de plaisir au féminin, autour d’un café (pardon, d’un verre de Dom Pérignon, voyons !), en toute simplicité, et surtout en toute honnêteté. Ce franc-parler, depuis Girls, The L Word ou Sex Education, détonne certes moins aujourd’hui, mais il est toujours aussi bienvenu. « Elles étaient capables de parler, de dire les choses clairement, sans être intimidées par les mots », se félicite aussi Martine Delvaux. D’ailleurs, si des séries comme Big Little Lies, Grace and Frankie ou Handmaid’s Tale existent aujourd’hui, « c’est parce que SATC a ouvert les portes », croit Viviane Couto. Un exemple de cette normalisation du discours sexuel, entre mille ? Quand la nounou de Miranda tombe par inadvertance (et à son manifeste désarroi) sur son jouet sexuel. La rousse avocate lui cloue le bec en lui lançant, laconiquement : « Je bois du café, je baise, j’achète des tartes et j’apprécie les jouets à batteries. Si c’est trop pour vous, je vais me trouver une autre nounou. » Vlan dans les dents.

La normalisation du célibat

Carrie, Samantha, Charlotte et Miranda sont restées dans l’imaginaire populaire le symbole de quatre femmes fortes, indépendantes et célibataires (ou presque). « Cet archétype d’héroïne était l’image de la femme qui contrôle son propre destin avec efficacité. Et cela n’a pas changé avec le temps », poursuit Viviane Couto. Elles ont raconté leur célibat franchement, ses hauts, ses bas, des réflexions toujours colorées, crues et sans filtre qui ont encore énormément d’écho aujourd’hui. Vous souvenez-vous quand Samantha n’arrive plus à jouir ? Quand Charlotte découvre les joies de son « lapin » jouet ? « Leurs réflexions féministes par rapport au célibat, c’est un combat qu’on a encore aujourd’hui beaucoup », confirme Sarah-Maude Beauchesne, qui ne cache pas s’être beaucoup inspirée de SATC pour écrire sa propre websérie, Fourchette. « Ça m’habite depuis toujours, ce discours. » Et elle n’est pas seule. Combien de réflexions, phrases clés et autres répliques sont aujourd’hui mythiques ? (Et ont, en toute sincérité, un peu changé nos vies ?) He’s just not that into you, mesdames (et messieurs) ! Allez, au suivant !

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