À l’occasion du temps des Fêtes, des journalistes de la section Arts et Être se passent le relais pour narrer quotidiennement un conte en cinq chapitres. Suivez les aventures des jumeaux Marko et Klara, qui ont fait une fabuleuse découverte sur le mont Royal. Bonne lecture !

Vif sur ses petites pattes, Gaston le raton s’écarta d’un bond de la trajectoire du cône en furie. « Squiiiick ! BAM ! » Dans un grincement suivi d’un fracas, le plot orange et blanc termina sa course contre un poteau de la voiture de métro. « C’est passé proche ! », lança le nouvel ami des jumeaux en secouant son pelage.

Le cône, sonné par la collision, roulait sur lui-même et tentait de petits bonds pour se redresser, en vain. Gaston rassura Marko et Klara : « Paniquez surtout pas ! Y ont beau être costauds, une fois qu’ils tombent, ça leur en prend gros pour réussir à se remettre debout. On devrait arriver à destination avant que celui-là y arrive. »

Leur ennemi de plastique fit malheureusement mentir le raton laveur. Il s’apprêtait de nouveau à charger, au moment même où la rame surgissait à la station Place-des-Arts. Mais Youppi, qui avait tout vu de sa cabine, fit s’arrêter la chenille d’un coup sec. Alors qu’il se remettait droit sur son support, le plot fut éjecté à l’autre bout de la voiture. Les portes s’ouvrirent, laissant Marko, Klara et Gaston sauter sur le quai.

« Du du duuuuuuu », entendirent ensuite les trois comparses, tandis que le train reprenait son chemin, un cône assommé à son bord.

« Il est plus le même depuis le départ des Expos, mais ç’a toujours été un maudit bon jack, notre Youppi », murmura Gaston, un peu pour lui-même. « Tant qu’on a du bon monde autour pour nous donner un coup de main, tout peut toujours s’arranger. Oubliez surtout pas ça, ajouta le sage raton laveur à l’intention des jumeaux. Allez hop, on suit la musique maintenant ! »

Au loin, les jumeaux entendaient des airs de piano, de saxophone, de batterie… Mais ce n’était pas tout. « Regarde, Klara, regarde ! » Les yeux écarquillés, Marko pointait au-dessus de leurs têtes, où flottaient des notes de musique gigotant au rythme dicté par les instruments.

« Comme c’est beau ! », s’écria Klara en arrivant à la surface.

Sur une grande scène, en plein centre de la place des Festivals, des instruments jouaient d’eux-mêmes.

Les touches du piano, les cordes de la contrebasse, l’archet du violon bougeaient comme s’ils étaient en vie. Les instruments à vent, saxophone, trompette et flûte, flottaient dans les airs, se balançant de gauche à droite en cadence.

Une dense foule faisait fourmiller le Quartier des spectacles. La musique était partout dans l’air, mais tous pouvaient aussi la sentir à l’intérieur de leur corps, telle une chaleur réconfortante malgré le vent frais d’hiver qui soufflait.

« Ici, c’est tous les jours le festival ! lança Gaston. C’est la fête à longueur d’année. On a failli perdre ça à cause des maudits cônes, mais Catherine et ses instruments ont réussi à les garder hors des limites du Quartier des spectacles pour l’instant. Une vraie sainte, cette Catherine ! »

« Qui est-elle, monsieur Gaston ? », demandèrent les jumeaux.

« Nom d’une croustille au ketchup, j’allais oublier que vous n’êtes jamais venus ici ! Vous allez le savoir ben vite, c’est elle qui va nous aider pour le premier morceau de la Machine. La voilà, là-haut ! Catheriiiiiine ! »

À plusieurs mètres du sol, la fameuse Catherine virevoltait gaiement, assise sur une des immenses balançoires suspendues à chacun des grands lampadaires bordant la place des Festivals. « Monsieur Gaston, quel plaisir, se réjouit-elle en s’élançant avec grâce pour les rejoindre. Oh ! Et qui sont vos deux amis ? »

Les visages de Klara et de Marko s’illuminèrent. Madame Catherine s’exprimait en chantant. En sortant de sa bouche, tous ses mots s’envolaient en mélodies.

Gaston présenta les jumeaux à son amie, puis lui expliqua leur quête. « Comme vous êtes courageux, quelle chance de vous avoir ici ! Je pense pouvoir vous aider », répondit-elle. « Cette sensation de chaleur et de réconfort que vous ressentez en ce moment, c’est ce qu’on appelle le Pouvoir de la musique. C’est ce qui explique qu’on est heureux quand on est entourés de musique. C’est en quelque sorte le carburant de notre Machine anticônes. Dans la Machine, il prend la forme d’un accordéon. Il est enfoui quelque part dans le coin. Pour le trouver, il vous suffit d’apprendre une mélodie. »

« Mais, madame Catherine… Nous ne jouons pas d’instruments de musique… », s’excusa Marko.

« Voulez-vous savoir un secret ? Moi non plus ! Mon seul instrument, c’est ma voix ! »

« Klara a une très jolie voix, elle aussi, s’exclama Marko. Mais ça fait longtemps que je ne l’ai pas entendue. Depuis… depuis la guerre. » À ses côtés, Klara avait soudainement la mine basse. Son frère la prit par la main et colla tendrement son épaule contre la sienne.

« J’aimerais bien essayer », chuchota Klara, en levant les yeux vers Marko et en esquissant un sourire. Elle s’adressa ensuite à Catherine : « Apprenez-moi la mélodie, s’il vous plaît. »

Après quelques essais, Klara chantait déjà l’air qui les mènerait jusqu’à l’accordéon. Chaque fois qu’elle entonnait les notes, l’instrument lui répondait et le trio s’en approchait. C’était comme un jeu de Marco Polo… musical !

Sur leur chemin, ils découvrirent les mille merveilles du quartier. Sur la place des Festivals, derrière la scène, des gens se lançaient en patin sur d’immenses jets de glace giclant des fontaines. Plus loin, le bâtiment de la salle Wilfrid-Pelletier s’était changé en carrousel. L’édifice tournait sur lui-même, avec à son bord de petits et grands enfants extasiés.

Rue Saint-Urbain, un petit attroupement encerclait une chorale de pingouins en costard qui harmonisait sur du Leonard Cohen.

Les jumeaux s’amusaient follement. Klara entonna une autre fois la mélodie et ils tendirent l’oreille. Tout proche, l’accordéon répondit. « Il est là ! », s’exclama Marko en montrant du doigt un magnifique coffre caché derrière une des scènes, parmi des malles d’instruments.

Marko ouvrit lentement la boîte et Klara en sortit l’accordéon. En le touchant, elle sentit la chaleur en elle se décupler.

« Vous avez réussi, petits humains ! Retournons vers la ligne arc-en-ciel maintenant, lança Gaston le raton, déjà en marche. Je parierais un plein paquet de croustilles sel et vinaigre que la prochaine pièce de la machine se trouve dans le coin du parc Jean-Drapeau ! Mais avant, laissez-moi vérifier quelque chose… »

Le raton laveur brandit son moral-o-mètre, qui émit un joyeux bip. « Ah ben ! On est montés d’une coche ! »

Le moral des jumeaux avait pris du mieux depuis leur arrivée dans le Montréal souterrain. Le désarroi et l’impuissance qui les assaillaient depuis qu’ils avaient dû fuir leur pays venaient de laisser une petite place à un sentiment qui ne les avait pas habités depuis longtemps : l’enchantement.

« Ça m’fait chaud au cœur de vous voir de même ! Venez-vous-en ! Si le Quartier des spectacles vous a plu, vous en reviendrez pas de l’endroit où je vous emmène ! »