À l’occasion du temps des Fêtes, des journalistes de la section Arts et Être se passent le relais pour narrer quotidiennement un conte en cinq chapitres. Suivez les aventures des jumeaux Marko et Klara, qui ont fait une fabuleuse découverte sur le mont Royal. Bonne lecture !

« Tou-di-dou-di ! Attention : un incident impliquant des cônes orange nous force à interrompre le service sur la ligne jaune de l’arc-en-ciel, entre la station Berri-UQAM et la station Jean-Drapeau. Merci de votre compréhension. »

La truffe contractée, Gaston était visiblement contrarié. Marko et Klara, toujours bercés par la musique du Quartier de spectacles, sortirent subitement de leurs rêveries. « Mais qu’est-ce qui se passe, Gaston ? », demanda la jeune fille, soudainement inquiète.

Le raton quitta son siège pour s’approcher des enfants. « J’ai l’impression qu’on veut nous empêcher de remplir notre mission, va falloir avoir des yeux tout l’tour de la tête », murmura le petit rongeur en regardant discrètement autour de lui. « À mon signal, on sort à Papineau, soyez prêts. »

De retour à la surface, les jumeaux enfourchèrent chacun un BIXI, Gaston s’accrochant au porte-bagages du vélo de Marko, Klara fixant l’accordéon magique au sien. Au sommet du pont Jacques-Cartier, la vue sur le centre-ville était inoubliable : les gratte-ciel multicolores chatouillaient les nuages, laissant échapper à chaque fou rire des flocons duveteux sur la ville, comme si on était à l’intérieur de l’une de ces boules à neige en verre que l’on trouve dans les boutiques de souvenirs. Mais la véritable surprise attendait les enfants quelques coups de pédale plus loin : « Ici, c’est La Ronde ! », s’exclama Gaston, oreilles et vibrisses rabattues sous l’effet de la vitesse, le regard fixé sur le parc d’attractions plus grand que nature.

Arrivé au portail d’entrée, le trio fut accueilli par un homme au crâne dégarni portant d’épaisses lunettes et arborant une fine et distinguée moustache.

« Gaston, je suis heureux de te voir », annonça avec bienveillance l’homme qui roulait chacun de ses « r » avec prestance.

« Monsieur Drapeau, comment ça va ? Mais, c’est-tu moi ou on dirait ben que vous nous attendiez ? », s’interrogea le rongeur, dubitatif.

« On m’a averti de votre venue, enchaîna l’ancien maire en levant les yeux au ciel. Les pigeons m’ont parlé de votre mission et je crois bien pouvoir vous aider. Mais je vous invite d’abord à vous amuser un peu, vous le méritez bien », ajouta-t-il en se tournant vers les jumeaux.

À La Ronde, le temps sembla s’arrêter pour Klara et Marko. Les manèges prirent littéralement vie : dans le Goliath ou le Monstre, les rails virevoltaient selon le souhait de ses occupants ! Dans le Bateau pirate, c’est en pleine mer que les enfants se retrouvèrent, avec Barberousse à la barre ! Dans le Condor, c’est sur le dos d’un oiseau géant qu’ils survolèrent le parc, illuminé par l’éclat de feux d’artifice qui prirent sur-le-champ la forme souhaitée par les enfants. Klara et Marko auraient passé toute la journée dans les manèges, n’eût été l’arrivée subite d’un pigeon, qui se posa directement sur la tête de Gaston, pas avant d’avoir pigé dans son sac de croustilles crème sure et oignon. « Eille, t’es pas gêné, toi, chose ! », s’écria le rongeur masqué en tentant de chasser l’impertinent oiseau, déclenchant une cascade de rires chez les jumeaux. Mais Gaston figea sur place quand le pigeon lui roucoula quelque chose à l’oreille. « Que l’diable me pète un singe ! Les cônes viennent d’arriver à la station de métro », déclara Gaston avec gravité.

Alerté lui aussi par ses amis ailés, M. Drapeau arriva presque aussitôt. « Je croyais bien que vous aviez réussi à semer ces idiots de cônes, avoua-t-il. Je sais que ce que vous cherchez dans l’île Notre-Dame. Allez trouver mon ami Gilles, il pourra vous aider ! »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

La Biosphère, l’un des cinq musées d’Espace pour la vie, qui constitue le plus grand complexe muséal en sciences de la nature du Canada.

Enfourchant de nouveau leurs BIXI, les enfants se dirigèrent vers la passerelle du Cosmos. À peine eurent-ils le temps de remarquer l’étincelante Biosphère qu’ils aperçurent des cônes sur leur droite, près de l’entrée de la ligne arc-en-ciel. « CLONK, CLONK, KECLONK ! »

À la vue des enfants, les cônes se mirent à s’entrechoquer entre eux pour gagner de la vitesse en glissant sur la neige et la glace.

À bout de souffle, Marko et Klara peinèrent à garder leurs distances face à cette marée orange qui s’apprêtait à déferler sur eux.

Gaston, qui se retourna sur son perchoir pour jeter un coup d’œil à l’arrière, lança ses directives aux deux jeunes cyclistes : « Marko, à droite ! Klara, crampe à gauche ! » Habiles, les jumeaux évitèrent ainsi les premiers cônes, qui s’abattirent autour d’eux. C’est alors que surgit droit devant un bolide à skis recouvert d’une coque translucide, avec aux commandes un jeune homme souriant aux petits yeux vifs et moqueurs : « Allez, embarquez ! »

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Les nouveaux garages du circuit Gilles-Villeneuve, avec en vitrine le logo d’Expo 67.

« Lui, c’est Gilles Villeneuve, plus grand pilote québécois de l’histoire, on est sur le circuit qui porte son nom, raconta Gaston aux enfants. Et il a commencé en conduisant des Ski-Doo, tout est tiguidou ! »

Pendant que le bolide filait à toute allure, laissant derrière lui les cônes furieux, Gaston joua les guides touristiques en invitant les enfants à observer les impressionnants paddocks de Formule 1, ou encore la fascinante architecture du Casino de Montréal ou même celle du pavillon du Canada.

« Y en avait plein de beaux pavillons comme ça pendant Expo 67, mais là, c’est pas le temps d’être nostalgique, dit le raton en se secouant le pelage. Les cônes sont pas ben ben vite, ils vont eux aussi faire tout le tour de la piste, ça nous donne un peu de temps pour trouver le morceau de la machine ! »

« Inquiétez-vous pas, je l’ai avec moi », répondit Gilles en arrêtant sa course près de l’entrée de la station Jean-Drapeau. Sourire aux lèvres, il décrocha tout à coup le volant de son bolide : « C’est celui de ma Ferrari 312T avec laquelle j’ai gagné ma première course, ici même en 1978. Ça devrait vous être utile ! »

Pendant ce temps, du haut des airs, quelques goélands qui semblaient observer la scène partirent subitement vers l’est, à l’insu de nos amis…