Avec le retour du beau temps, les idées vertes bourgeonnent au Québec. À Montréal, la jeune équipe des Nouveaux Voisins cultive un art paysager à l’aide de jardins sauvages, rappelant les prairies et les sous-bois, pour le bien-être des hommes, mais aussi des autres espèces avec lesquelles ceux-ci cohabitent.
Après de longs mois d’hiver à plancher sur des aménagements de jardins paysagers, Emile Forest et Philippe Asselin, fondateurs des Nouveaux Voisins, retournent à la terre pour poursuivre la mission qu’ils se sont donnée : resserrer les liens entre les êtres humains et les autres espèces vivantes. La tâche est colossale, car c’est toute la culture populaire qui est à réinventer.
« Nos cours avant et arrière ont longtemps été vues comme des pièces de la maison », relève Emile Forest. Un parti pris qui s’est traduit par l’entretien d’un gazon pour les jardins comme un gigantesque tapis d’extérieur. Cette herbe, venue du Royaume-Uni, s’est accompagnée d’un mode de vie qui a contribué à sa prolifération au détriment de la biodiversité pourtant essentielle à notre existence.
Au-delà de la pollution, c’est la modification du territoire qui est la plus problématique pour la planète. On vient morceler des territoires en créant des déserts de biodiversité que les espèces ne sont plus capables de traverser.
Emile Forest, urbaniste et cofondateur des Nouveaux Voisins
Aires de vie
Depuis 2019, avec son complice Philippe Asselin, architecte paysagiste rencontré lors d’études en sociologie de l’environnement, l’urbaniste s’attelle à changer l’ordre des choses par l’intermédiaire de l’organisme à but non lucratif (OBNL) les Nouveaux Voisins.
« Les nouveaux voisins, ce sont, tout d’abord, les autres espèces qu’il faut intégrer dans nos quartiers, précise Emile Forest. Une fois que nous mettons de côté l’aménagement classique de nos jardins, pauvre pour la biodiversité, que nous proposons quelque chose de plus sauvage, nous devenons nous-mêmes des nouveaux voisins qui détonnent. »
L’idée est d’entrer dans un nouveau dialogue avec nos voisins pour les convaincre que la nature n’est pas là juste pour être propre, mais folle et riche, et que nous en avons besoin.
Emile Forest, urbaniste et cofondateur des Nouveaux Voisins
La pandémie les a décidés à s’investir à temps plein dans cette tâche comprenant un important volet éducatif et des projets menés avec des institutions publiques et des particuliers soucieux de leur environnement. Ils en ont déjà près de 30 à leur programme pour cette année, et comptent parmi leurs clients le bureau d’architecture Microclimat et l’Atelier Pierre Thibault, interpellés par leur démarche régénératrice du vivant.
Alors que les perspectives les plus alarmantes planent sur notre planète, ces acteurs de l’ombre veulent croire en la force des initiatives individuelles. « La nature a cette résilience : si on crée un environnement pour elle, elle sera au rendez-vous », appuie Emile Forest.
Les bienfaits de jardins plus diversifiés pour notre écosystème sont nombreux : réduction des îlots de chaleur, captation des émissions de carbone, rétention d’eau, abri d’insectes et d’oiseaux… Autre grand avantage de ces jardins privilégiant les plantes indigènes : il n’est plus nécessaire de s’éreinter à les entretenir. Un accompagnement, fait d’interventions ponctuelles, par exemple un arrosage en cas de forte chaleur ou une coupe au printemps, suffit.
À contrechamp
Chaque projet résidentiel est abordé de la même façon. L’équipe détermine avec ses clients leurs besoins et les surfaces qu’ils souhaitent rendre à la nature. Les cours devant les maisons, moins utilisées, sont souvent cédées d’emblée. Le site est ensuite soumis à une étude rigoureuse pour identifier ses caractéristiques (ensoleillement, acidité, taux d’humidité et composition du sol).
« Nous essayons de travailler avec les contraintes du site plutôt que de les transformer », précise Emile Forest. Un archétype paysager, tel que l’un de ceux repris sur le site internet des Nouveaux Voisins, est ensuite proposé aux clients. La technique prend ensuite le relais avec des esquisses et des rendus 3D. L’équipe insiste pour que les propriétaires soient présents lors des travaux pour les éveiller à leur nouveau milieu naturel.
Tous deux baignés de culture punk depuis l’adolescence, Emile Forest et Philippe Asselin croient en la beauté des choses dites « imparfaites » ou plutôt prenant racine hors des chemins battus. « On attend de nos jardins qu’ils s’expriment d’une façon parfaite, modérée, mais la beauté existe dans différentes esthétiques, surtout dans le monde naturel. Il faut savoir la reconnaître et l’apprécier », estime Emile qui retrouvera bientôt les jardins expérimentaux aménagés depuis trois ans avec son équipe au Campus de la transition du parc Jean-Drapeau, à Montréal.
Le but étant, toujours, de semer des idées vertes aux quatre vents.
Consultez le site des Nouveaux Voisins