Les légumineuses se taillent une place de plus en plus appréciable dans l’alimentation. Au potager, elles se laissent timidement découvrir par les jardiniers curieux. Rares sources de protéines au jardin, elles ravissent à l’année dans l’assiette et en séduisent plus d’un dans leur quête d’autosuffisance.
Il y a deux printemps, dans une démarche d’autosuffisance, Judith Samson et son conjoint, Samuel Desaulniers, qui sont tous deux végétariens, se lançaient dans une production enthousiaste de légumineuses : 16 m2 de haricots à faire sécher, qui ont pu combler l’essentiel de leurs besoins en protéines végétales jusqu’à maintenant. L’exploration des légumineuses reprend de plus belle à La Valse des saisons, leur ferme maraîchère démarrée entre-temps sur les terres de Melbourne, en Estrie.
« On voulait démontrer qu’on peut faire pousser une forme de protéines sans avoir des acres de terrain. Avec la hausse du prix des aliments, ça devient d’autant plus pertinent pour nous », affirme Judith Samson qui entend développer plus de légumineuses adaptées au climat québécois et des variétés qu’elle pourra éventuellement vendre sous forme de semences.
Le choix est encore limité ici, mais il existe toute une gamme de légumineuses autochtones et indigènes à découvrir. Et c’est vraiment ça qui m’intéresse : retrouver des goûts d’avant et des variétés différentes de celles qu’on trouve à l’épicerie.
Judith Samson, cofondatrice de la ferme maraîchère La Valse des saisons
La légumineuse, une fève comme les autres
Les légumineuses (pois, haricots, soja et lentilles) font partie de la famille botanique des fabacées (Fabaceae) qui englobe les variétés consommées fraîches avec la cosse, comme les pois mange-tout, et celles dont on apprête les grains secs. Les premières prennent environ 50 jours à se rendre à maturité, tandis que les légumes secs poursuivront leur séjour au jardin entre 80 et 100 jours.
« Si on laisse sécher nos petites fèves vertes ou jaunes sur leur plant, leurs grains finissent par grossir et durcir. Leur enveloppe devient coriace et sèche. Ce ne sont pas les meilleures à consommer en légumineuses, mais le principe est le même », explique Judith Samson. Plusieurs variétés de fabacées se consomment d’ailleurs aussi bien fraîches que sèches.
Des grains d’ici
Les légumineuses cohabitent avec d’autres végétaux depuis des siècles sur le territoire et ont contribué à la survie des populations locales, notamment à travers la technique des « trois sœurs » — courges, maïs, haricots — qui fait partie du savoir-faire agricole des Premières Nations : les courges rampent à travers le maïs qui sert de tuteur aux haricots dans une heureuse collaboration.
Faciles à cultiver, les fabacées poussent dans la majorité des sols bien drainés. L’un des défis pour la culture des légumineuses est toutefois de pouvoir mener à terme le séchage du grain dans la courte saison de jardinage au Québec. « J’ai essayé plusieurs légumineuses, dont le pois chiche. Le problème est souvent l’humidité qui peut créer une moisissure en fin de saison, surtout si l’été a été pluvieux », observe le semencier Patrice Fortier, de la Société des plantes. Les petits grains, comme les pois, note-t-il, sont généralement plus faciles à mener à terme, car leur croissance est rapide. Les pois ont aussi l’avantage de pouvoir être semés quand le sol est encore frais, contrairement aux haricots qui préfèrent un terreau plus chaud.
Se nourrir de ses propres légumineuses : un objectif réaliste ?
« J’ai un bémol. Je pense que c’est utopique de se dire qu’on peut vraiment s’alimenter et supplémenter de façon significative son alimentation avec le jardinage, surtout en protéines. Ça prend beaucoup d’espace et des mois pour se rendre jusqu’au repas », souligne le nutritionniste Bernard Lavallée.
Je crois qu’il faut viser avant tout le plaisir de jardiner et de découvrir de nouveaux aliments.
Bernard Lavallée, nutritionniste
Pour espérer faire des provisions de légumineuses, le jardinier motivé doit en effet pouvoir cultiver sur une grande surface, et assurément plus qu’un balcon. « Ça prend un grand jardin, mais c’est très relatif selon ses besoins », estime Judith Samson qui, comme Patrice Fortier, croit que cet objectif est à la portée de plusieurs. Tous deux acquiescent pour la partie plaisir : les légumineuses au jardin viennent avec une garantie de fraîcheur et un goût plus affirmé que celles qu’on trouve sur le marché. « Viser l’autonomie à 100 %, c’est peut-être difficile. Mais si on y arrive à 50 %, c’est tout de même ça de plus », ajoute la maraîchère.
Choisir les bonnes variétés
Les plants de haricots sont dits buissonnants (entre 40 et 50 cm de hauteur) ou grimpants, chacun ayant ses avantages et ses inconvénients. Les variétés naines ou déterminées n’ont pas besoin de treillis. Puisque leurs fruits viennent à maturité rapidement et sur une courte période, elles ont toutes les chances de se rendre à maturité et seront plus faciles à récolter que les plants indéterminés dont la récolte s’étire sur plusieurs semaines.
Le fait de pouvoir faire grimper ses haricots est toutefois un avantage pour les jardins de taille plus modeste, le mot « modeste » étant encore une fois bien relatif. Plus prolifiques, les variétés indéterminées — ou à rames — sont souvent les plus anciennes et offrent une expérience qui se distingue sur le plan culinaire. « Si on a moins d’espace, je suggère d’opter pour des plants indéterminés », conseille Patrice Fortier, qui donne ces chiffres en exemple : « Pour deux rangs de haricots nains buissonnants sur 100 pi [30,5 m] de longueur, j’obtiens entre 4 et 9 kg de grains. C’est plutôt 14 et 16 kg avec des haricots grimpants. » Prévoyez de grands tuteurs. Certaines variétés s’étendent à plus de 2 m !
En fin de saison, ce qui reste des plants pourra être laissé en terre jusqu’au printemps. Les légumineuses enrichissent le sol d’azote et diminuent les besoins en engrais.
Récolte, séchage et conservation
Autant que possible, on récolte les grains au moment où les cosses sont sèches, mais sans être friables au point de s’ouvrir d’elles-mêmes sans intervention. Des grains qui bougent dans leur enveloppe sont généralement signe qu’ils sont mûrs pour la récolte, une gousse qui épouse la forme des grains aussi. La récolte se fait dans tous les cas avant les premiers gels. « Parfois, on n’a pas le choix de récolter avant que les grains n’aient eu le temps de se rendre à leur point de récolte idéal et ce n’est pas parce que ça semble sec au jardin que ça l’est complètement. Il faut donc les faire sécher sur des grillages ou en attachant les plants tête en bas dans un endroit sec et bien ventilé avant de les écosser », conseille Patrice Fortier.
Une fois bien sec, le grain éclate sous le coup d’un marteau plutôt que de s’écraser. Équipé de souliers à semelles épaisses, on peut alors piétiner les gousses pour séparer l’enveloppe des grains. Les résidus d’écailles s’enlèvent plutôt bien avec un ventilateur ou un séchoir à cheveux. Pour éliminer les larves de bruche qui s’invitent parfois dans les grains, il est sage de les faire séjourner quatre jours au congélateur avant l’entreposage dans un endroit sec et à l’abri de la lumière. Et puisqu’un peu d’humidité peut encore subsister après cette étape, préférez les sacs de papier bruns aux bocaux hermétiques.
C’est la technique efficace pour la récolte. Judith Samson propose plutôt le party d’écossage qui ajoute une part de charme au travail ! Elle décrit ainsi la scène : « On dépose un bol au milieu de la table et tout le monde écosse en jasant, en buvant une bière et en écoutant de la musique. Chacun repart ensuite avec son petit pot de légumineuses. Je peux vous garantir qu’on apprécie ce qu’on mange après ! On ne peut pas gaspiller ce qu’on a mis autant d’efforts à obtenir. Chaque petit grain a été écossé avec amour. »