Bananes, goyaves, papayes, figuiers, hibiscus… Dans le fouillis tropical d’un jardin lavallois entretenu avec soin depuis plus de 40 ans, Félicienne Roc défie l’hiver québécois et nous transporte loin, très loin, près d’une mer du Sud.

Ce n’est peut-être pas pour rien que Félicienne Roc porte un nom qui rappelle à la fois le bonheur — felicitas en latin — et la terre. La parole posée, le regard espiègle, vêtue d’une blouse jaune hibiscus faisant ressortir son teint chaud, les deux pieds bien plantés au sol, l’octogénaire avertit immédiatement le visiteur : il n’y a rien d’extraordinaire ici.

Ce rien d’extraordinaire, c’est un jardin foisonnant dissimulé derrière la devanture de briques d’un bungalow comme les autres, en pleine ville de Laval. Entre le balcon et la piscine hors terre se déploie une vision digne d’un éden du Sud.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Les plantes tropicales entourent la piscine de Mme Roc dans sa cour à Laval.

Là, quelques papayes se balancent au-dessus de la piscine, à l’ombre des feuilles d’éléphant s’élevant vers le ciel ennuagé. À leurs côtés, un laurier-rose de plus de 20 ans côtoie un régime de bananes, bien niché entre des feuilles protectrices. Des fleurs d’hibiscus, roses, jaunes, rouges, parsèment le décor de touches exubérantes.

Derrière tout ça, à défaut d’un océan : une clôture, des pelouses bien entretenues et une mer de toits. La vision est surréaliste.

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Laurier-rose âgé de plus de 20 ans

« J’ai toujours aimé faire pousser des choses. C’est bizarre, non ? C’est pour ça que j’ai bien élevé mes enfants », résume l’Haïtienne d’origine avec une touche d’humour.

Un jardin qui se mange

  • Fleur d’hibiscus

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    Fleur d’hibiscus

  • Bananier

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    Bananier

  • Goyavier

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    Goyavier

  • Papayer

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    Papayer

  • Citronnier

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    Citronnier

  • Bleuets

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    Bleuets

  • Mûres

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    Mûres

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Plus l’œil s’attarde aux détails et plus la diversité du jardin se dévoile. Citrons, tangerines, mains de Bouddha, figues, goyaves, il semble que partout où le regard se pose, quelque chose se mange ou, du moins, se dévore des yeux. Tout ça sans compter les plantes rustiques, celles qu’on connaît mieux : tomates, aubergines, courges, bleuets, mûres, poires, cerises…

« Ma dernière folie, c’est un jaboticaba [vigne brésilienne] », confie la dame avec un sourire qui creuse une fossette.

Pas de frénésie ici, pas de presse. Les plantes ont besoin de temps et de patience, tout comme les humains, rappelle Félicienne Roc. Elle a une vie à raconter, une vie qui a été chamboulée par le régime Duvalier, qui s’est déroulée d’Haïti à New York, avant d’atterrir au Québec. « Quand je suis arrivée rue Cousineau, à Montréal, ma cour était asphaltée, donc j’ai mis mes plantes dans des pots », se souvient-elle.

C’est finalement dans une maison à Laval que Félicienne Roc a posé ses valises, il y a près de 45 ans. Même si sa cour n’est pas asphaltée, plusieurs de ses plantes sont toujours en pots, car évidemment, la marmaille ne passe pas l’hiver dehors. Une pièce de la maison de Félicienne Roc abrite les plantes pendant la saison froide, avec lampes d’appoint et ventilateur. Les végétaux de très grande taille — voire gigantesques — sont envoyés en pension dans une pépinière locale (qui a malheureusement annoncé ne plus offrir ce service à l’avenir).

« Laisse mère Nature faire le travail »

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Main de Bouddha

Comment Félicienne Roc arrive-t-elle à réaliser ces merveilles ? « Ce n’est pas magique qu’un bananier fasse des bananes. Tu le mets en terre, tu lui donnes ce qu’il faut, et tu laisses faire mère Nature », constate l’octogénaire, toujours modeste.

Les plants viennent tous de pépinières locales. Félicienne Roc utilise des engrais à base d’excréments de poule ou de crevettes, et surtout, elle s’assure de comprendre les besoins de chaque plante, en ensoleillement et en eau.

« Les tomates et les aubergines, c’est comme des adolescents. Ça leur prend toujours de la nourriture », raconte-t-elle avec humour.

Un bananier n’a pas besoin d’autant de soleil, parce que dans les Antilles, il pousse souvent sous d’autres arbres. La papaye, ça pousse comme de la mauvaise herbe. Les figuiers aussi, c’est facile !

Félicienne Roc

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Sous une vigne, divers plants attendent toujours d’être mis en terre.

Pour finir, faire pousser des bananes semble plus facile que des bleuets, dont elle acidifie le sol avec des aiguilles de pin.

La musique peut aussi aider la culture, croit la dame qui a été directrice du recrutement des Petits Chanteurs de Laval pendant une vingtaine d’années. « Les plantes sont des êtres vivants. Ça peut les aider [la musique]. Ça peut aider tout le monde, dans la vie », soutient-elle. Sa maison, qui accueille aussi des pensionnaires avec une déficience intellectuelle, est toujours emplie de musique, confirme sa petite-fille Hilary Hilaire, surnommée Lily.

Gregory Charles, qui a côtoyé Félicienne Roc pendant des années aux Petits Chanteurs de Laval et qui a enseigné à ses fils, était enthousiaste à l’idée que La Presse s’intéresse aux réalisations de Mme Roc. « Que ce soit son jardin ou son travail bénévole, je peux vous dire qu’il y a une trâlée de personnes, ici, qui ont profité de sa générosité », souligne-t-il.

Les conseils de Félicienne Roc pour qui voudrait se lancer dans la culture de plantes tropicales : « Du temps, de la patience, et si ça ne fonctionne pas, tu recommences ! »