On n’arrive pas chez Roxane Acloque Ittah par hasard. En face d’un bois de Louargat, en Bretagne, entre deux chemins de campagne, une maison blanche apparaît. Des chèvres broutent l’herbe pour éviter la tonte. Quatre chiens jouent dans le vent. Au loin, les poules gloussent. Une poignée de chats, dont un sur trois pattes, regardent de leurs grands yeux le visiteur se garer. La chambre de Maria Catarino fait face à cette ménagerie improvisée. C’est la dernière arrivée dans la maison. Elle a eu 91 ans le 15 septembre.

La nonagénaire est la première personne âgée à être accueillie dans la petite chambre du fond des Acloque Ittah. Roxane a obtenu l’agrément du gouvernement français pour devenir famille d’accueil quelques mois plus tôt.

À côté de la porte de sa chambre, Maria Catarino a inscrit les prénoms des cinq personnes avec qui elle vit désormais. Elle a encore un peu de mal à se souvenir du nom de Roxane, Kévin et de leurs trois enfants, Sharon, Gabriel et Salomé. Il faut dire qu’elle ne les a rencontrés que le 24 juillet, jour de son emménagement. Avant, Maria Catarino habitait dans une résidence détenue par la commune. « Ma fille avait peur que je tombe », explique-t-elle, après avoir fait répéter quelques fois la question – ses appareils auditifs n’ont bientôt plus de piles. En fait, les craintes étaient un peu plus étoffées. « Elle oubliait de prendre ses médicaments, de boire et parfois même de manger », confie Roxane Acloque Ittah.

« Ils sont gentils ici », avance Maria Catarino. Avant d’ajouter, une pointe d’accent portugais dans la voix : « mais ce que j’aimerais, moi, c’est être auprès de mes enfants ». Une demande impossible à réaliser pour sa fille et ses fils qui, en plus de ne pas tous vivre en Bretagne, ont un métier et une vie de famille.

Alors, Maria a accepté de vivre dans cette demeure qui n’est pas la sienne. Elle s’y fait des manucures, participe à la découpe des légumes pour le dîner et boit, comme elle l’a toujours fait, son verre de rosé à table.

La famille d’accueil, ça n’a rien à voir avec un EHPAD [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, équivalent des CHSLD]. Nous, on prend le temps, on n’est pas pressés. Il n’y a pas d’heure fixe pour faire la toilette, pour déjeuner ou pour se coucher.

Roxane Acloque Ittah, accueillante familiale

L’accueillante familiale est là pour accompagner Maria Catarino dans son quotidien, tout en l’intégrant à plein temps dans le sien et celui de sa famille de sang. Pour prendre soin de Maria à son domicile, la mère de famille de 32 ans reçoit une rémunération de 1062 euros par mois (environ 1535 $  CAN) – une somme qui varie en fonction du niveau d’autonomie du pensionnaire. À cela s’ajoute une compensation de 625 euros (900 $  CAN) pour la mise à disposition de la chambre et quelque 200 euros (290 $  CAN) pour les charges courantes. C’est à l’accueillie de régler la note.

Mais Roxane Acloque Ittah n’a pas choisi cette voie pour l’argent. Après des années passées dans la vente et une expérience furtive en tant qu’aide à domicile – « J’ai détesté le concept, on est limité dans le temps, on enchaîne les visites chez les gens, sans avoir le temps de nouer des liens » –, elle a fait les démarches nécessaires à l’obtention de l’agrément d’accueillant familial. Une évidence pour celle qui a été élevée par sa grand-mère et qui a, à plusieurs reprises, accueilli chez elle des membres de sa famille pour les accompagner dans leurs dernières années.

« Pour obtenir l’agrément, c’était compliqué. Chaque fois qu’on pense que c’est fini, il y a de nouvelles épreuves ! », lance-t-elle. Elle a dû faire un bilan de santé physique et psychologique. Par trois fois, on a inspecté sa maison. Un fonctionnaire est venu visiter la maison. Ensuite, elle a été forcée de retourner sur les bancs d’école, notamment pour obtenir son diplôme de premiers secours, obligatoire. Puis, 44 heures de formation complémentaire imposée par les conseils départementaux.

En Côtes-d’Armor – région de Bretagne où est installée Roxane –, 108 personnes sont agréées pour héberger jusqu’à trois locataires maximum. Dans les faits, seule une trentaine d’aînés sont accueillis par l’entremise de ce dispositif. « C’est une alternative intéressante, mais nos accueillants vieillissent, alors on aimerait bien en avoir de nouveaux », explique Véronique Cadudal, vice-présidente départementale chargée de l’Autonomie. Sur le plan national, le ministère des Solidarités assure vouloir travailler sur la mise en valeur de l’accueil familial.

Nous avons l’ambition de permettre aux personnes de choisir là où elles ont envie de vieillir. L’accueil familial est une formule plus douce que l’EHPAD lorsque l’on quitte son domicile.

Véronique Cadudal, vice-présidente départementale chargée de l’Autonomie

« La mort, ça fait partie du jeu »

Chez les Acloque Ittah, la présence des enfants rend l’expérience de famille d’accueil plus enrichissante encore. Âgés de 12, 7 et 5 ans, ils se sont vite habitués à la présence d’une nonagénaire dans leur maison. « J’aime bien avoir Maria parce qu’on passe de bons moments. On joue aux dominos », souffle Gabriel, assis contre la nonagénaire sur le canapé.

Roxane les a préparés à l’arrivée d’une personne âgée dans leur foyer, et tout ce que cela suppose. « La mort, ça fait partie du jeu, mais c’est dur. Je ne cache rien à mes enfants. Ils savent très bien que ça peut arriver et qu’il faut être prêt », dit-elle, sans filtre. Petit à petit, entre tous les membres de la maison, des liens se forment. Pas question toutefois de laisser les enfants seuls avec Maria. La trentenaire se doit de veiller personnellement sur son accueillie. L’engagement et les responsabilités d’une vie.

L’hébergement pour aînés en France en chiffres

17 000

Nombre de places en accueil familial réparties chez 8000 personnes agrémentées par l’État

770 000

Nombre approximatif de places en structures d’hébergement de type EHPAD réparties en 11 000 établissements

21 %

de la population française a plus de 65 ans, ce qui équivaut à peu près à 14 millions de personnes susceptibles de nécessiter l’un ou l’autre de ces services

L’accueil familial décortiqué

Jean-Claude Cébula, psychologue clinicien et directeur de l’Institut de formation de recherche et d’évaluation des pratiques médico-sociales (IFREP), dresse pour nous le cadre de l’accueil familial en France.

Qu’est-ce qui régit l’accueil familial de personnes âgées en France ?

L’activité a été réglementée en 1989 à la suite d’articles de presse qui dénonçaient des abus de pseudo-familles d’accueil. La loi porte sur l’agrément, donné par les conseils départementaux. Les échanges financiers entre accueillis et accueillants sont également encadrés. En revanche, cette réglementation laisse la totale initiative de l’organisation de l’accueil aux accueillants eux-mêmes. Depuis 2002, la loi a été améliorée. Les agréments sont désormais valables cinq ans et chaque accueillant familial peut prendre soin de trois personnes âgées maximum à son domicile.

Quel état des lieux peut-on dresser sur l’accueil familial de personnes âgées aujourd’hui ?

On assiste à une baisse progressive du nombre d’accueillants familiaux en France. Il y en avait 8400 en 2022, pour 13 000 accueillis. Et les premiers chiffres pour 2023 montrent que la baisse se poursuit, même s’il y a des disparités territoriales. Certaines régions sont historiquement des terres d’accueil. D’autres, comme la Réunion, ont promu politiquement l’accueil familial parce qu’il n’y avait pas assez de maisons de retraite et que cela apporte des ressources aux accueillants.

Qu’est-ce qui, selon vous, explique cette baisse progressive ?

Cette activité est peu reconnue, peu rémunératrice et de plus en plus difficile à exercer à mesure que le niveau d’autonomie de l’accueilli diminue. Il n’y a en plus aucune ambition gouvernementale sur le sujet. Nous appelons de notre côté à une meilleure rémunération des accueillants familiaux et à une organisation de la prise en charge par la loi.