La communauté LGBTQ+ de Hongrie est poussée à la marge par une série de restrictions controversées qui empêchent écoles, éditeurs et médias de traiter librement des œuvres abordant les questions d’identité de genre ou d’orientation sexuelle.

Les restrictions en question, formalisées par une série d’amendements adoptés en 2021 par le gouvernement ultraconservateur du premier ministre Viktor Orbán, alimentent la censure et la peur, déplore Amnistie internationale dans un rapport paru cette semaine.

L’organisation presse les autorités européennes d’intensifier leurs pressions sur le régime pour le forcer à faire marche arrière et à retirer des mesures qui doivent officiellement servir, au dire des autorités, à « protéger les enfants ».

Eszter Mihály, qui a mené la recherche d’Amnistie internationale, a indiqué vendredi à La Presse que la motivation première de Viktor Orbán et de ses proches était d’ordre politique.

« Je pense que le gouvernement hongrois actuel est susceptible d’utiliser tout groupe minoritaire pour le dépeindre comme un danger pour la société. Le but est de créer de la peur qui lui permet ensuite de se poser en sauveur », souligne Mme Mihály, qui évoque la stigmatisation des migrants venus du Moyen-Orient durant la crise de 2016 comme un autre exemple du stratagème.

PHOTO DENES ERDOS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le premier ministre de la Hongrie, Viktor Orbán

Les restrictions introduites en 2021 précisent qu’il est impératif de bloquer tout contenu qui « représente ou fait la promotion » auprès des jeunes de moins de 18 ans de l’homosexualité, du changement de sexe ou d’une identité de genre autre que le sexe attribué à la naissance.

La terminologie utilisée est vague et force commerces et médias à redoubler de prudence pour éviter d’être sanctionnés par les autorités, relève Mme Mihály.

« Propagande »

Des procédures ciblant des librairies en vertu des nouvelles restrictions ont notamment commencé en 2023, après qu’une agence gouvernementale chargée de la protection des consommateurs a protesté contre la distribution par une chaîne connue, Lira, d’une bande dessinée dans laquelle deux garçons sont amoureux.

Les administrateurs avaient placé dans un premier temps le livre dans la section jeunesse de plusieurs librairies, suscitant une dénonciation musclée d’une secrétaire d’État, qui a fustigé sur Facebook une campagne « visant à relativiser et affaiblir la famille ».

Une amende de 32 000 euros a été imposée à Lira, qui s’est vu reprocher de ne pas avoir enveloppé le livre pour dissimuler son contenu, comme le demande le gouvernement.

La firme a aussi été sommée de s’assurer qu’aucun exemplaire de la bande dessinée n’était vendu dans ses librairies situées à moins de 200 mètres d’une école ou d’une institution religieuse.

Les enseignants, note Mme Mihály, doivent éviter pour leur part d’utiliser tout livre susceptible d’exposer les enfants à de la « propagande » liée à l’identité de genre ou à l’orientation sexuelle, mais aucun cas de sanction n’a été formellement identifié par Amnistie internationale.

Une enseignante m’a cependant signalé que le directeur de son établissement a prévenu que toute employée fautive serait congédiée.

Eszter Mihály, recherchiste d’Amnistie internationale

Les restrictions imposées par le régime hongrois causent aussi de sérieux maux de tête aux médias, qui doivent désormais diffuser après 22 h toute émission mettant en scène une personne homosexuelle ou transgenre, note la recherchiste.

Une comédie axée sur un couple homosexuel qui était jugée appropriée pour un auditoire de 12 ans et plus a dû être reclassée pour 18 ans et plus afin d’éviter toute sanction des autorités, qui peuvent aller jusqu’à imposer une suspension temporaire de diffusion aux contrevenants.

L’agence régulant les médias s’est même adressée en vain à quelques reprises aux dirigeants de sites de visionnement en ligne situés à l’étranger parce que certains films accessibles au public hongrois contrevenaient à leurs exigences.

« Offensive »

Amnistie internationale note que les restrictions adoptées par Budapest ont soulevé une vague de protestations, tant en Hongrie qu’ailleurs en Europe, sans pour autant infléchir la détermination de Viktor Orbán.

Les mesures sont dénoncées par la Commission européenne, qui a lancé une procédure devant la Cour de justice de l’Union européenne à laquelle une quinzaine d’États du continent se sont rattachés.

Le premier ministre hongrois a lancé une contre-attaque en 2023 en accusant Bruxelles de mener une « offensive » pro-LGBTQ+ pour miner « l’héritage chrétien » de son pays.

Malgré la gravité des attaques du gouvernement, l’opinion des Hongrois envers la communauté LGBTQ+ ne semble pas s’être détériorée sensiblement depuis 2021, mais les données manquent pour tirer des conclusions définitives à ce sujet, relève Mme Mihály.

Les groupes d’extrême droite ont vu pour leur part dans la démarche gouvernementale une incitation à agir, alimentant une montée de discours haineux dans le pays, dit-elle.

Dans un sondage mené en 2019, avant l’introduction des réformes controversées du gouvernement, 53 % des répondants de la communauté LGBTQ+ disaient avoir déjà été harcelés en raison de leur identité de genre ou de leur orientation sexuelle.