L’Espagne retient son souffle à la suite des menaces de départ de son premier ministre Pedro Sánchez. Plausible pour les uns, bluff pour les autres.

Nom

Pedro Sánchez

Âge

52 ans

Fonction

Premier ministre d’Espagne

Mots-clés

Démission, bluff, stratégie, Catalogne

Pourquoi on en parle

L’Espagne retient son souffle. Jeudi, le premier ministre Pedro Sánchez a créé l’émoi en annonçant « réfléchir » à une possible démission après l’ouverture d’une enquête visant sa femme, Begoña Gómez, pour trafic d’influence et corruption. « J’ai besoin de m’arrêter et de réfléchir » afin de décider « si je dois continuer à être à la tête du gouvernement », a déclaré le dirigeant socialiste sur le réseau social X. Sánchez, au pouvoir depuis 2018, a précisé qu’il annoncerait sa décision lundi devant la presse et qu’il suspendait ses activités d’ici là, laissant place à toutes les conjectures.

Quel trafic d’influence ?

L’enquête, lancée à la suite d’une plainte portée par une organisation proche de l’extrême droite, s’intéresse aux liens entre Begoña Gómez et des entreprises privées (des compagnies aériennes, entre autres) ayant reçu des aides de l’État et cherche à savoir si la première dame est intervenue personnellement dans les tractations. Pedro Sánchez rejette les accusations contre sa femme, qu’il décrit comme des fabrications créées pour attaquer sa famille et lui-même, dans le cadre d’une opération « de harcèlement et de démolition » menée par ses adversaires politiques.

PHOTO OSCAR DEL POZO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Un bus nolisé par l’association conservatrice « Hazte Oir » (Fais-toi entendre) diffusait vendredi des informations relatives au premier ministre espagnol Pedro Sánchez et à son épouse Begoña Gomez, soupçonnée de corruption, en circulant autour du siège social du Parti socialiste espagnol, à Madrid.

Une sortie par le haut

Pour certains, ces menaces de démission sont à prendre au sérieux, alors que le gouvernement Sánchez est aux prises avec un scandale de corruption concernant des achats de masques pendant la pandémie de COVID-19, et que sa coalition avec les indépendantistes catalans (gagnée au prix d’énormes compromis, dont une promesse d’amnistie aux prisonniers politiques) semble se diriger vers un mur. Des rumeurs lui prêtent en outre un intérêt pour la présidence du Conseil européen, après les élections européennes de juin prochain, un poste réservé aux anciens premiers ministres des pays membres de l’Union européenne. « Ça lui donnerait une sortie par le haut. Le calcul serait assez habile », résume l’historien Benoît Pellistrandi, spécialiste de l’Espagne.

Coup de bluff et « télénovela »

Pour M. Pellistrandi, il est cependant plus probable que ce coup d’éclat soit un coup de bluff. En prenant l’initiative, Pedro Sánchez chercherait plutôt à créer un « électrochoc » pour détourner l’attention. « Peut-être pense-t-il qu’il vaut mieux passer à l’attaque en disant : “Je suis victime d’un complot politique.” Parce qu’en parlant d’un complot politique, on ne parlera plus des affaires de sa femme. » L’opposition de droite semble partager cet avis, accusant le premier ministre d’être irresponsable en mettant le pays en suspens. « Pour nous, il est très clair que tout cela fait partie d’une tactique […]. Nous connaissons Pedro Sánchez et les choses prennent toujours la forme d’une télénovela […] », a dénoncé Cuca Gamarra, la numéro deux du Parti populaire (PP).

PHOTO OSCAR DEL POZO, AGENCE FRANCE-PRESSE

Une sympathisante tient une pancarte sur laquelle on peut lire « Pedro, président de l’Espagne », lors d’un rassemblement en soutien à Pedro Sánchez, samedi. D’autres manifestations avaient aussi lieu pour demander sa démission.

Le contexte catalan

Coïncidence ? Cette « télénovela » survient au moment où s’amorce en Catalogne la campagne du scrutin régional du 12 mai (équivalent de nos élections provinciales), où s’affronteront notamment les deux partis indépendantistes rivaux, Esquerra republicana de Catalunya (gauche) et Junts per Catalunya (droite), tous deux partenaires, par ailleurs, dans la fragile coalition de Sánchez à Madrid. Selon Benoît Pellistrandi, le coup d’éclat du premier ministre espagnol pourrait aussi avoir comme effet de mobiliser le vote pour le Parti des socialistes de Catalogne (non indépendantiste). Si celui-ci remportait l’élection, cela tuerait dans l’œuf une hypothétique alliance indépendantiste transpartisane, rêvée par le chef de Junts per Catalunya, Carles Puigdemont. Exilé à Bruxelles depuis le référendum de 2017, Carles Puigdemont se présente comme tête de liste de son parti pour la présidence catalane. Seul hic : il est toujours visé par un mandat d’arrêt pour sédition et interdit de séjour en Espagne. Un scénario évoqué est qu’il vienne à Barcelone à la toute fin de la campagne pour se faire arrêter. « Cela causerait une mobilisation très forte chez les Catalans et pourrait lui permettre de remporter l’élection », souligne M. Pellistrandi.

Et s’il démissionne…

Si Sánchez finit par démissionner après six ans au pouvoir, le Parti socialiste pourrait proposer l’investiture par le Parlement, comme chef du gouvernement, d’une autre personne. Sánchez pourrait aussi convoquer des élections anticipées auxquelles il se représenterait, dans l’espoir de solidifier sa majorité. S’il reste, une des possibilités évoquées par les observateurs est qu’il réclame un vote de confiance au Parlement, afin de montrer à l’Espagne que lui et son gouvernement minoritaire sont toujours soutenus par une majorité de la Chambre des députés.

Avec l’Agence France-Presse, Euronews, Le Monde, Courrier international