Les partis de la dite droite radicale, qui ont renforcé leur position dans plusieurs pays européens au cours des dernières années, devraient voir leur influence collective croître au Parlement européen à l’issue des élections prévues en juin.

Ce qu’il faut savoir

Des élections auront lieu en juin prochain au Parlement européen, où les partis de la droite radicale devraient faire des gains notables.

Certaines projections suggèrent qu’ils pourraient obtenir 30 % des sièges d’eurodéputés, mais des analystes se montrent sceptiques et évoquent une progression plus modeste.

Plusieurs facteurs, incluant la peur face à l’impact de l’immigration ainsi que la fragilisation économique, alimentent le soutien populaire à ces formations.

Bien qu’une majorité soit hors de portée, certaines projections basées sur les plus récents sondages laissent entrevoir que près de 30 % des députés pourraient être issus de ce courant regroupant tant des partis d’extrême droite que des formations radicales, mais pas antidémocratiques.

Il s’agit cependant de la « fourchette haute » des projections, relève Sylvain Kahn, professeur à Sciences Po, qui s’attend à des gains plus modestes que ce saut de près de 10 points de pourcentage.

Le résultat à venir n’en sera pas moins significatif, dit-il, puisque les élus de la droite radicale seront en position d’exercer une influence accrue sur les partis plus centristes et de peser sur les orientations de la Commission européenne, notamment en matière d’immigration et de lutte contre le réchauffement climatique.

« Bataille des droites »

Le politologue Jean-Yves Camus, codirecteur de l’Observatoire des radicalités politiques, note que la prochaine élection européenne va donner lieu à une véritable « bataille des droites ».

Les partis de la droite radicale – qui se trouvent, dit-il, au sein de deux groupes distincts au Parlement européen – espèrent recueillir plus de sièges que le groupe de la droite conservatrice traditionnelle, le Parti populaire européen (PPE), réunissant 178 députés sur un total de 705.

Le groupe Identité et Démocratie (ID), constitué à l’origine de formations d’extrême droite, compte actuellement, selon son site web, 58 députés rattachés notamment au Rassemblement national français (RN) et à l’Alternative pour l’Allemagne (AfD).

En les ajoutant aux 67 eurodéputés du Groupe des conservateurs et des réformistes européens (CRE), qui inclut notamment des élus du parti Justice et égalité polonais (PiS), ils totalisent pour l’heure 125 députés, soit une cinquantaine de moins que le PPE et près de 20 % du total.

M. Kahn note qu’une potentielle redistribution des sièges en faveur des deux groupes de la droite radicale ne signifie pas qu’ils travailleraient main dans la main au sein du Parlement européen.

Il s’agit de « deux familles distinctes qui n’ont pas les mêmes cultures politiques », relève M. Kahn, qui voit dans le comportement des élus de l’ID au Parlement européen le reflet de leur « héritage antiparlementaire ».

Changer l’Union européenne de l’intérieur

M. Camus note que le passé n’est pas nécessairement garant de la manière dont les partis et leurs représentants vont se comporter une fois au pouvoir.

Le gouvernement de la première ministre italienne Giorgia Meloni, qui a remporté les élections législatives de 2022 à la tête d’une formation d’héritage néofasciste, « n’est pas une dictature » et joue le jeu des institutions européennes, tout en préconisant la ligne dure sur des questions centrales comme l’immigration, illustre l’analyste.

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Giorgia Meloni, première ministre d’Italie

Selon lui, le RN et l’AfD ont aussi cherché à modérer leur discours pour élargir leur base électorale et évitent à ce titre de préconiser ouvertement la sortie pure et simple de l’Union européenne.

« Ils disent plutôt qu’ils ne vont pas sortir tout de suite, qu’ils vont chercher à renverser les orientations actuelles de l’Union européenne de l’intérieur en vue de les rendre moins néfastes pour les pays membres », note-t-il.

« Le nouveau rapport de force au Parlement européen leur sera favorable et incitera les partis traditionnels de droite et de centre à prendre en compte les politiques qu’ils préconisent », relève M. Camus.

Le même phénomène joue, dit-il, à l’échelle nationale, par exemple en France, où le gouvernement a fait adopter en décembre, avec l’appui du RN, un projet restrictif sur le droit d’asile et l’immigration qui suscite une vive controverse.

Les facteurs derrière la montée de la droite radicale

Frédéric Mérand, qui dirige le département de science politique de l’Université de Montréal, note que le parti de Marine Le Pen, à l’instar d’autres formations traditionnellement associées à l’extrême droite, a aussi modifié sensiblement son discours.

« Il est difficile de savoir s’ils se montrent plus pragmatiques dans leur stratégie ou s’ils conservent le même fond idéologique », relève le professeur, qui insiste sur la complexité des facteurs expliquant la montée en popularité des partis de la droite radicale.

Une partie de la population « n’accepte pas la vitesse à laquelle les sociétés occidentales se transforment » et trouve un écho, note M. Mérand, dans les critiques que font ces partis de l’immigration et des revendications identitaires.

À ce facteur « culturel » s’ajoute un facteur économique reflétant le fait que certaines personnes se sentent fragilisées par la mondialisation et les mutations du marché du travail.

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Des milliers d’agriculteurs hostiles aux réductions d’avantages fiscaux pour leur profession ont perturbé la circulation en Allemagne, lundi. Des drapeaux et des slogans de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) ont été observés dans les cortèges.

La fragmentation découlant de l’effondrement de systèmes politiques traditionnels basés sur l’alternance entre quelques grands partis plutôt centristes fait aussi le jeu des formations plus marginales, ajoute M. Mérand.

M. Camus relève que le caractère proportionnel du scrutin européen leur offre la possibilité de remporter plus facilement des sièges et a permis à plusieurs d’entre eux de se mettre sur la carte avant de percer véritablement sur le plan national.

La montée des formations de la droite radicale n’a rien d’irrémédiable en Europe, même si des résultats récents, notamment aux Pays-Bas et en Slovaquie, ont marqué les esprits, relève M. Kahn.

Le recul en Pologne du PiS, qui a perdu le pouvoir à la suite des élections législatives tenues en octobre 2023, montre que la réalité des pays membres de l’Union européenne varie largement, incluant dans l’est du continent, ce qui complexifie l’analyse du scrutin à venir en juin.

« Les élections européennes, ce sont 27 élections nationales. Il y a une vie politique européenne et 27 vies politiques nationales », prévient-il.