(Paris) Manifestations monstres, grèves reconductibles dans des secteurs stratégiques : les syndicats en France mettent toutes leurs forces dans la bataille contre la réforme des retraites, en faisant le pari de mettre mardi le pays « à l’arrêt » pour faire enfin plier le gouvernement.

Cette réforme voulue par le président Emmanuel Macron prévoit entre autres de reculer à 64 ans l’âge de départ à la retraite, actuellement fixé à 62 ans. C’est ce point qui cristallise toutes les oppositions.  

Le projet de loi, en discussion devant le Sénat, a déjà fait descendre dans les rues des millions de Français et donné lieu à des débats houleux à l’Assemblée nationale. Le gouvernement a jusqu’à présent refusé de revenir sur son projet, en dépit de cinq journées d’action.

Les huit principaux syndicats français et cinq organisations de jeunesse ont promis de tout faire pour bloquer le pays mardi afin de contraindre le gouvernement à renoncer.

Ensemble, ils comptent mobiliser davantage encore que le 31 janvier, où la police avait recensé 1,27 million de participants et l’intersyndicale plus de 2,5 millions.

De source policière, entre 1,1 et 1,4 million de manifestants sont attendus dont 60 à 90 000 à Paris.

La mobilisation passe à « la vitesse supérieure », assure Philippe Martinez, numéro un de la Confédération générale du travail (CGT), un des principaux syndicats français, dans le Journal du dimanche.

De fortes perturbations sont attendues dans les transports urbains et ferroviaires, l’ensemble des syndicats ayant appelé à la grève reconductible à la SNCF, les chemins de fer français et à la RATP, qui gère le métro parisien, à partir du 7 mars.

Dès dimanche soir, des routiers envisagent de débrayer avec à la clé des blocages de zones industrielles ou des opérations-escargots.  

« Retrait de la réforme »

Dans les airs, la Direction générale de l’Aviation civile (DGAC) a demandé aux compagnies de renoncer mardi et mercredi à entre 20 et 30 % de leurs vols, en prévision de la grève des contrôleurs aériens.

D’autres professions sont appelées à la grève reconductible « jusqu’au retrait de la réforme », à l’invitation de la CGT : raffineurs, électriciens et gaziers, éboueurs, débardeurs, ouvriers du verre et de la céramique… Le secrétaire général de la fédération CGT de la chimie, Emmanuel Lépine, se disant prêt à « mettre à genoux l’économie française » pour obtenir gain de cause.  

Dans le secteur de l’agroalimentaire, la CGT appelle les grands sucriers français à se mettre à l’arrêt à partir de mardi. Le son de cloche est le même dans les abattoirs du groupe Bigard.  

Dans l’énergie, la grève a débuté dès vendredi après-midi avec des baisses de production dans plusieurs centrales nucléaires.  

Le ministre des Transports Clément Beaune, interrogé dimanche sur la perspective d’un éventuel blocage du pays ou une menace sur les approvisionnements en carburants, se refusait à y croire : « Je ne crois pas qu’on sera dans un mouvement irresponsable ou bloquant, on fera tout pour l’éviter », a-t-il déclaré.

Les enseignants seront à nouveau en grève.

Les syndicats s’attendent en outre à des initiatives plus inhabituelles : chantiers à l’arrêt, rideaux de magasins fermés, péages ouverts, routes bloquées…  

La semaine sera émaillée d’autres mobilisations, en parallèle des débats au Sénat, qui s’achèveront quoi qu’il arrive vendredi.

Le 8 mars, Journée internationale des droits des femmes, sera cette année placée sous le signe d’une réforme des retraites jugée particulièrement injuste pour elles.

Les mères de famille risquent en effet d’être pénalisées, car elles arrivent aujourd’hui à 62 ans avec des trimestres validés grâce à leur maternité, qui pourraient être « neutralisés » avec le recul à 64 ans, a reconnu le gouvernement.

Et les mouvements lycéens et étudiants ont annoncé une journée de mobilisation le 9. « Bloquez tout ce que vous pouvez », les a encouragés vendredi le leader du parti la France insoumise (LFI, gauche) Jean-Luc Mélenchon.

Les dirigeants syndicaux attendent cette fois, après plusieurs mobilisations réussies, une réponse à leurs revendications.

« La première suite du 7 mars, c’est une prise de parole politique, du gouvernement ou du président de la République », a déclaré Yvan Ricordeau, secrétaire national auprès de la CFDT, l’autre grand syndicat français avec la CGT.

La première ministre Elisabeth Borne a prévu de s’exprimer lundi soir à la télévision.

Samedi soir, le ministre du Travail Olivier Dussopt a défendu une « réforme de gauche » et « sans perdants » tandis qu’en marge d’une visite du salon de l’agriculture, son homologue des Comptes publics Gabriel Attal haussait le ton en dénonçant des grèves qui vont bloquer les Français « qui triment ».  

Retraites : la réforme française de A à Z

PHOTO BENOIT TESSIER, ARCHIVES REUTERS

Des manifestants protestent créativement contre la réforme des retraites proposée par Elisabeth Borne à Paris.

De l’âge légal à la ZAD, de Laurent Berger à Olivier Dussopt, la réforme des retraites a son lexique, fait de noms propres et communs qui définissent les termes du débat et ses multiples enjeux.

Âge (légal)

À la fois pierre angulaire et d’achoppement de la réforme. Aujourd’hui fixé à 62 ans, Emmanuel Macron voulait d’abord l’augmenter à 65, avant d’en rabattre pour atteindre 64 ans en 2030.

Berger (Laurent)

Leader incontesté d’une intersyndicale inédite, le bien nommé patron de la CFDT guide les troupes des opposants à la réforme.

Carrières (longues)

Clé d’un compromis avec les députés de droite, qui ont obtenu que ceux ayant commencé avant 21 ans puissent partir avant 64 ans. Au prix d’une crise interne entre leur chef Eric Ciotti et son bras droit Aurélien Pradié, congédié après avoir joué la surenchère.

Durée (de cotisation)

Deuxième mesure d’âge de la réforme, qui accélère le passage de 42 annuités (168 trimestres) pour une retraite à taux plein aujourd’hui, à 43 (172 trimestres) d’ici 2027, soit huit ans plus tôt que prévu.

Équilibre

Objectif affiché de la réforme, face au retour annoncé d’un déficit à deux chiffres du système de retraite, jusqu’à 13,5 milliards d’euros en 2030, dans le scénario optimiste du « plein emploi » avec un taux de chômage réduit à 4,5 %.

Femmes

Point faible de l’exécutif, qui peine à se défaire des griefs contre une réforme demandant plus d’efforts aux femmes, contraintes d’allonger leurs carrières davantage que les hommes. Même si cela aurait pour effet de combler un peu le fossé des pensions entre les deux sexes.

Grève (reconductible)

Graal syndical, face à un gouvernement que les grandes manifestations laissent de glace. Mais aussi pomme de discorde entre jusqu’au-boutistes prêts à « mettre à genoux l’économie » et stratèges inquiets que le « niveau d’emmerdement » ne retourne l’opinion publique.

Huit

Historique et habilement mené, le front uni des huit principaux syndicats français tient jusqu’à présent malgré leur hétérogénéité, le rejet partagé de la réforme l’emportant sur les divergences tactiques.

Index (seniors)

Idée inspirée de l’indicateur mis en place pour mesure l’égalité femmes-hommes dans les entreprises. Censée exposer bons et mauvais élèves de l’emploi des plus de 50 ans, mais ses détracteurs pointent du doigt un gadget.

Jeunes

Espérée par les syndicats, redoutée par le gouvernement, leur mobilisation changerait la nature du mouvement social. Mais les blocages de lycées et d’universités restent sporadiques, signe d’un désintérêt pour une réforme qui concerne d’abord leurs parents.

K. O.

Conclusion implacable d’un combat dans lequel chaque camp veut porter le coup fatal : si l’exécutif recule, le quinquennat sera fini avant d’avoir commencé ; si la réforme passe, l’échec des syndicats donnera quitus à des acteurs moins pacifiques.

Le Pen

La cheffe de file de l’extrême droite, dont ce n’est pas le sujet de prédilection, est presque muette sur les retraites. Après avoir prôné les 60 ans pour tous puis un départ progressif jusqu’à 67 ans, elle laisse passer le pugilat en espérant empocher le gain politique.

Martinez (Philippe)

Le métallurgiste mène sa dernière grande bataille à la tête de la CGT, tout en manœuvrant pour que l’enseignante Marie Buisson lui succède au prochain congrès de la centrale syndicale fin mars.

Nupes

L’alliance des partis de gauche se pensait adroite en jouant l’obstruction à l’Assemblée. Une stratégie qui l’a finalement conduite à la division, les Insoumis refusant de retirer leurs milliers d’amendements pour accélérer les débats comme le demandaient les syndicats.

Olivier (Dussopt)

En première ligne d’une réforme qui ne portera peut-être pas son nom, le ministre du Travail issu de la gauche encaisse tous les coups venus de son ancien camp. Rattrapé par une affaire de « favoritisme », il doit aussi se préparer à affronter la justice.

Petites pensions

Principale contrepartie au passage à 64 ans, la promesse d’une revalorisation pour 10 % des retraités actuels et un quart des futurs pensionnés est devenue un problème pour le gouvernement, puni pour ses approximations sur le cas type des 1200 euros après une carrière complète au salaire minimum.

Quinquennat

Plus qu’une simple réforme des retraites, ce projet est la clé de voûte du second mandat d’Emmanuel Macron, qui ne cachait pas dès sa campagne en escompter des économies et de la « création de richesse ». Autant de marges de manœuvre indispensables pour financer ses autres priorités, comme la défense et l’éducation.

Régimes (spéciaux)

Électriciens, gaziers et conducteurs de métros parisiens sont dans le collimateur du gouvernement, qui veut mettre fin aux départs anticipés en vigueur dans ces professions. Mais seules les futures recrues partiront à 64 ans, en vertu de la « clause grand-père » déjà à l’œuvre chez les cheminots.

Sénat

Seul hémicycle où l’exécutif peut espérer un scrutin positif, apposant sur sa réforme le sceau démocratique qui lui manque encore. Mais ce salut suppose des concessions aux sénateurs de droite, au risque de sacrifier le sacro-saint rétablissement des comptes.

Travail

Le vrai sujet derrière la réforme, alors que la crise sanitaire a révélé de fortes attentes en matière de conditions de travail, puis que l’inflation a mis au premier plan les revendications salariales.

Universel

Grand dessein du premier quinquennat Macron, le « système universel de retraite » par points a été stoppé net par la COVID-19. Officiellement abandonné, même si au sein de la majorité quelques députés nostalgiques espèrent encore le relancer.

Véhicule (législatif)

Jamais un budget rectificatif de la Sécurité sociale (Sécu) n’avait servi à faire passer une réforme des retraites. Le gouvernement peut ainsi écourter les débats au Parlement au bout de 50 jours et user à volonté de l’arme du 49.3 pour passer en force si besoin.

ZAD

Zizanie promise par la cheffe des écolos bien avant l’ouverture des hostilités. Appliquée avec zèle à l’Assemblée, où le bazar a duré quinze jours. Inenvisageable au Sénat, où l’ambiance est toujours plus zen.