Les habitants de la ville d’Osmaniye, à quelque 100 km de l’épicentre dans le sud de la Turquie, peinent toujours à croire que leur ville a été quasiment détruite. Un cauchemar qu’ils tentent d’oublier tant bien que mal.

« Je n’ai plus de maison, maintenant. J’y suis pourtant né, ma chambre était mon espace sécurisé, mais nous n’avons plus rien », se désole Merve Yavuz, encore vêtue du pyjama qu’elle portait quand elle a fui en catastrophe son appartement, avec sa famille. L’immeuble ne s’est pas écroulé, mais il est fortement endommagé. Y retourner est impossible.

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Merve Yavuz (deuxième à partir de la droite), avec ses parents et des voisins

Elle raconte que sa mère, tétanisée lorsque la première secousse a été ressentie, ne pouvait presque plus bouger. Elle a emporté un peu d’argent et quelques denrées, et descendu avec ses parents les neuf étages, in extremis. « J’avais peur. J’attendais ma mort », dit en larmes Merve Yavuz, âgée de 20 ans.

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Des résidants d’Osmaniye longent un immeuble rasé par le séisme, jeudi.

Le traumatisme est palpable pour cette famille qui a perdu de nombreux proches. Depuis lundi, Merve Yavuz dit parfois oublier son prénom et ne pas savoir comment elle arrive encore à tenir debout ; son père a cessé de parler et sa mère ne cesse de pleurer.

Je pense que nous sommes dans une phase de déni de la souffrance. Nous enterrons les gens que nous connaissons depuis des années, puis nous rentrons chez nous, nous sommes heureux d’avoir survécu, mais en même temps très tristes.

Merve Yavuz, habitante d’Osmaniye

Face à la paralysie de la ville d’Osmaniye, Merve Yavuz et sa mère quitteront leur ville natale vendredi, pour rejoindre temporairement des proches à Istanbul. « Il n’y a plus d’espoir ici. Ils vont sûrement détruire la moitié des bâtiments de cette ville, car il y a beaucoup de dommages. Nous ne pouvons plus vivre ici. » Ils se rattachent maintenant à l’espoir de construire une nouvelle vie dans une nouvelle maison, même s’ils ne savent pas encore où ni comment.

Dévastation 

Des témoignages comme celui-ci, il en existe beaucoup. Presque à chaque coin de rue d’Osmaniye, des bâtiments ont été réduits à néant. D’autres, très souvent marqués par de larges fissures sur les façades, ont été abandonnés en catastrophe par les résidants, qui préfèrent dormir dehors, par peur d’effondrements. Dans un parc, des centaines de tentes ont été installées pour des rescapés et des résidants qui y dorment par terre. Dans une gare, d’autres ont transformé des wagons d’un train en abris.

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Tentes installées pour des rescapés, à Osmaniye, jeudi

Sedef et sa mère Feyza tiennent à montrer ce qu’il reste d’un magasin de chaussures de la ville, où elles avaient l’habitude d’aller. Il ne reste plus rien, à part des gravats et des paires de chaussures parmi les décombres.

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Sedef et sa mère Feyza devant les décombres d’un ancien magasin de chaussures, à Osmaniye

Nous ne savons pas où nous habiterons désormais. Cela prendra beaucoup de temps pour la reconstruction.

Feyza, habitante d’Osmaniye

La poussière est omniprésente. Les décombres et la dévastation aussi. La ville, qui comptait près de 200 000 habitants avant le séisme, ressemble maintenant à une ville fantôme. Tous les bâtiments sont vides, seuls quelques petits dépanneurs et cafés fonctionnent encore. Les résidants se massent au bout de leur rue ou devant ce qu’il reste de leur maison, allument des feux avec du bois et tentent de se réconforter. Même quand ils ont tout perdu, ils sont prêts à offrir ce qui leur reste de nourriture ou d’eau au premier venu dans le besoin.

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Des résidants d’Osmaniye tentent de se réchauffer autour d’un feu, lundi, après la catastrophe.

L’odeur de la mort

En déambulant dans les rues presque désertes de la ville, il n’est pas rare de croiser des personnes en pleurs. Des odeurs émergent parfois, s’apparentant à celle de la mort. Comme dans d’autres villes en Turquie, les recherches pour retrouver des survivants sous les décombres se poursuivent toujours, même si les espoirs sont désormais très maigres.

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Les recherches se poursuivent dans les décombres de l’immeuble où la mère de Sadik est portée disparue.

Sadik n’en peut plus d’attendre en face de l’immeuble complètement détruit où il a passé son enfance et où sa mère de 53 ans, qui vivait au cinquième étage, est portée disparue. Arrivé en catastrophe du Kosovo lundi, il n’a pas quitté la rue où les recherches se poursuivent. Les membres de sa famille viennent le soutenir durant la journée, et durant la nuit, il dort dans une voiture à côté de ce qu’il reste de l’immeuble.

« J’attends que ma mère soit retrouvée. Après sa mort, nous lui ferons une cérémonie, mais, bien sûr, j’espère qu’elle est toujours en vie. Mais je pense que les chances sont maintenant de 1 % », dit-il les larmes aux yeux, alors que son cousin l’enlace pour le soutenir.

Le choc, c’est peut-être ce qui revient le plus après l’émotion. Beaucoup de résidants d’Osmaniye disent avoir été surpris de l’intensité du séisme, du jamais vu, selon certains. « J’ai demandé à mon père et à mon grand-père, une puissance comme celle-là, nous n’avons jamais vu ça », dit Sadik. Lui, comme bien d’autres, redoute maintenant de futures secousses de la même intensité.