Le Royaume-Uni a déclaré cette semaine qu’il n’avait pas l’intention de restituer les marbres d’Elgin à la Grèce. Ça frise la crise diplomatique…

Du marbre ? Où ça ?

Pas du marbre, mais bien des marbres, parce qu’il y en a pas mal. Ces sculptures antiques, alignées sur 75 m, se trouvent au British Museum à Londres. Vous ne saviez pas ? Cette histoire roule pourtant depuis longtemps. Mais il y a eu du nouveau la semaine dernière, quand la ministre de la Culture du Royaume-Uni, Michelle Donelan, a officiellement déclaré qu’ils ne seraient jamais restitués à la Grèce.

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Michelle Donelan, ministre de la Culture du Royaume-Uni

Ah bon ? Vous m’apprenez quelque chose. Racontez…

Ces bouts de fresque ont été arrachés de la frise du Parthénon, à Athènes, entre 1801 et 1812, sous l’impulsion du diplomate britannique Lord Elgin, d’où leur nom. Ce gentleman les voulait pour son musée personnel, mais faute de liquidités, il a fini par les vendre au British Museum, qui les cajole depuis 1816. La Grèce les réclame depuis 1983, mais le Royaume-Uni continue de faire la sourde oreille. Un compromis semblait avoir été trouvé cette semaine, au terme d’une très longue saga. Les Britanniques proposaient de prêter les marbres à la Grèce pour une période de 100 ans. Mais les déclarations de Mme Donelan laissent comprendre que les négociations ont échoué.

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Des visiteurs contemplent les marbres du Parthénon, aussi connus sous le nom de marbres d’Elgin, au British Museum.

Qu’a-t-elle dit exactement ?

Que les marbres d’Elgin « appartiennent au Royaume-Uni ». Elle affirme qu’une restitution « ouvrirait une boîte de Pandore », parce qu’elle « ouvrirait la voie à la question de tout le contenu de nos musées », ce en quoi elle n’a sans doute pas tort ! Elle semble tout aussi fermée à l’option du prêt à long terme, disant que « ce n’est pas ce qui est prévu ».

Mais pourquoi ne pas rendre ces marbres s’ils ont été volés ?

Justement, l’ont-ils été ? Ce n’est pas si clair. Cette « ponction » archéologique aurait été faite avec l’accord des autorités ottomanes, qui contrôlaient alors la Grèce. Mais ce fait est fortement contesté. Légalement, ils appartiennent néanmoins au Royaume-Uni, où une loi (le British Museum Act de 1963) interdit officiellement toute forme de restitution. Les défenseurs du British Museum affirment par ailleurs que les marbres d’Elgin sont mieux préservés à Londres, où ils sont aussi plus accessibles à l’humanité.

D’accord… Et que répond la Grèce ?

Pas d’accord, vous pensez bien. Elle maintient que les marbres ont été volés et qu’une entente signée avec l’envahisseur ottoman est sans valeur. Elle plaide pour que ces bouts de frise soient réunifiés et estime – non sans raison – que cela doit se faire en Grèce. En 2009, Athènes a carrément ouvert un musée avec des conditions de préservation optimales pour pouvoir récupérer ce joyau du patrimoine mondial, espérant ainsi couper court au scepticisme des Britanniques. Au fait, British Museum n’égale pas forcément perfection. En 1999, on révélait que les marbres avaient souffert « d’un nettoyage à la main lourde » au cours des années 1930. Un bel aveu d’incompétence. Athènes ne perd pas espoir et capitalise : le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis a déclaré mercredi que son gouvernement « pourrait » régler le dossier si la population lui donne un second mandat aux législatives de juillet prochain.

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Kyriakos Mitsotakis, premier ministre de Grèce

Mais à la fin, qui a raison ?

C’est la grande question. Et elle ne touche pas seulement le British Museum. Depuis quelques années, différents pays ont commencé à réclamer des biens spoliés par les anciennes puissances coloniales. L’Égypte souhaite ravoir la pierre de Rosette découverte par les Français mais piquée par les Anglais ; le Congo, des crânes de guerriers qui dorment en Belgique ; l’Irak, des bas-reliefs de Mésopotamie qui se trouvent au Louvre. Ces demandes sont légitimes, sauf qu’elles ne garantissent pas un retour sans encombre dans leur pays d’origine. D’où cette prudence, explique Jacques Germain, marchand et expert en arts premiers : « Cette théorie de restituer est très complexe parce que ça coûte cher et que ça prend des institutions capables de recevoir tout ça de façon formelle et sérieuse. Tout le monde est d’accord sur le principe, mais pas à n’importe quel prix. »

On fait quoi, alors ?

Jacques Germain pense qu’il est encore « trop tôt » pour régler cette « question délicate ». Mais la réflexion se poursuivra forcément au cours des prochaines années, puisqu’il s’agit d’un sujet brûlant. « Toute cette question de restitution pose la problématique de la propriété légale et de la propriété morale, conclut Nathalie Bondil, directrice du département du musée et des expositions à l’Institut du monde arabe, auparavant à la tête du Musée des beaux-arts de Montréal. C’est très important de faire la distinction entre l’une et l’autre. Dans ce cas-ci, la propriété légale est au British Museum. Il faut respecter ça. Mais à la fin, le moral peut faire que le légal va changer. Je crois de toute façon que ce sont des questions incontournables, quelles que soient les positions des uns et des autres. Je vois ça de manière très positive. Ça fait partie des discussions du XXIsiècle… »