(New York) Un jour, il est à Radisson, en Jamésie, pour faire visiter la centrale hydroélectrique Robert-Bourassa à un groupe d’environnementalistes, d’universitaires et de journalistes américains.

Une semaine plus tard, il est à Astoria, quartier de l’arrondissement de Queens, pour accompagner le représentant de La Presse sur le chantier de la future station de conversion de la ligne de transmission Champlain Hudson Power Express (CHPE), qui tirera une partie de son électricité de la Baie-James.

Parmi tous les New-Yorkais, il n’y en a aucun qui soit plus « branché » sur le Québec que Peter « Pete » Rose, responsable des relations avec les parties prenantes d’Hydro-Québec aux États-Unis.

Et de tous les projets énergétiques, il n’y en a aucun à New York dont l’importance éclipse en ce moment cette ligne de transmission qui permettra au Québec d’exporter 10,4 térawattheures vers la métropole américaine durant 25 ans, de quoi combler l’équivalent de 20 % des besoins de la ville en électricité.

« Nous envoyons littéralement des électrons propres à la plus grande ville des États-Unis, qui est alimentée à près de 100 % par des combustibles fossiles. Cela a un impact énorme sur le changement climatique », dit Pete Rose, dont l’enthousiasme le pousse à anticiper l’entrée en fonction de la ligne de transmission CHPE, prévue en mai 2026.

En septembre dernier, lors de l’inauguration de la construction de la station d’Astoria, François Legault a décrit ce projet comme l’« une de [s]es plus grandes réalisations ». Le premier ministre du Québec a estimé à 30 milliards de dollars les retombées économiques de la ligne de transmission souterraine et sous-marine qui s’étendra sur 545 km de la frontière canadienne à Astoria.

Né à New York en 1979 et élevé à Forest Hills, autre quartier de Queens, Pete Rose voit le même projet comme l’aboutissement d’un parcours professionnel qui n’aurait pas été possible sans une francophilie remontant à l’adolescence.

« Un fil conducteur »

« C’est un fil conducteur très intéressant dans ma vie, qui a commencé par un séjour en France », raconte Pete Rose, membre d’une fratrie de quatre enfants dont l’aîné a insisté auprès de ses parents pour que son cadet hérite du même prénom que la légende du baseball.

Ce premier séjour en France a mené le New-Yorkais au physique de jeune premier à étudier à la Sorbonne et à Sciences Po, d’où il est revenu avec une maîtrise parfaite du français. Son premier contact avec le Québec date de 2009. Choisi par ses professeurs de l’Université de New York, il a participé à un voyage organisé par le gouvernement du Québec au sein d’un groupe de 10 étudiants de diverses universités américaines.

« J’étudiais alors l’énergie et l’environnement. Je suis dans le domaine depuis longtemps », dit Pete Rose, sourire en coin.

Durant une partie de la présidence de Barack Obama, il a travaillé à la délégation du Québec à Washington, où il a suivi de près les étapes de la procédure d’autorisation de la ligne de transmission CHPE. Autorisation qui a été renouvelée par les administrations Trump et Biden.

« Ce n’était pas un projet partisan », note Pete Rose.

Il a aussi contribué à l’avancement du dossier à la délégation générale du Québec à New York avant d’être embauché par Hydro-Québec Energy Services, filiale d’Hydro-Québec aux États-Unis, il y a quatre ans.

Vers la même époque, la Ville et l’État de New York ont adopté des politiques ambitieuses en matière d’énergie propre. Selon une loi promulguée en 2019, 70 % de l’électricité de l’État doit provenir de sources renouvelables d’ici 2030 et 100 % d’ici 2040.

Deux ans après l’entrée en vigueur de cette loi, Hydro-Québec a signé avec son partenaire new-yorkais une entente pour réaliser enfin le projet CPHE. Le tournant après des années d’embûches ? La décision de l’État de New York de considérer l’énergie hydroélectrique comme une forme d’énergie propre.

« Cela a donné une valeur [à l’énergie hydroélectrique] qui a débloqué les possibilités commerciales du projet », dit Pete Rose.

Le compte à rebours

Reste à réaliser le projet dans les délais impartis. Sur le chantier d’Astoria, un écran lumineux accroché au mur d’une roulotte égrène les jours, les heures, les minutes et les secondes devant mener au moment où sera actionné le grand interrupteur de la station.

Au milieu de la roulotte, Gregory Pitts, directeur général du chantier, exsude enthousiasme et confiance.

« Revenez ce jour-là et vous verrez », lance-t-il après une visite du site, en faisant allusion à la date de mai 2026 où l’électricité du Québec doit commencer à alimenter la ville de New York grâce à cette ligne de courant à haute tension dont la plus grande partie sera enfouie sous le lit de l’Hudson.

Gregory Pitts fonde une grande partie de sa confiance sur la qualité des équipes déployées par son employeur, Transmission Developers, le long de chacun des tronçons de la ligne.

« Il y a des gens bien plus brillants que moi qui gèrent le reste de ce projet », dit-il.

Cet ancien opérateur de réacteur qui a servi dans la Navy à bord d’un sous-marin nucléaire n’est pourtant pas le dernier venu. Âgé de 62 ans, il supervise la construction de sa 16e centrale électrique. L’un des premiers défis auxquels il a fait face sur le site d’Astoria a été le démantèlement de six vieux réservoirs de pétrole d’une capacité totale de 40 millions de litres. L’un d’eux contenait un mètre de pétrole endurci. Il a fallu six mois pour tout nettoyer.

Un autre défi consistera à construire et à installer une ligne de transmission souterraine de courant alternatif à haute tension de 6,4 km entre le site d’Astoria et la sous-station Rainey de la Consolidated Edison Company of New York, située à Long Island City, autre quartier de l’arrondissement de Queens. Près de deux millions de New-Yorkais devront composer avec la construction de cette ligne.

La qualité de l’air

Mais les avantages durables du projet surpasseront largement ses inconvénients passagers, assure Pete Rose, dont l’une des responsabilités est de gérer les relations avec les collectivités touchées.

« S’il y a une panne d’électricité due à un évènement météorologique à New York, et il y aura des évènements météorologiques, cette ligne pourra redémarrer tout le système en un instant », dit-il.

La ligne devrait aussi transformer la qualité de l’air que respireront les communautés défavorisées de Queens et du Bronx, où se trouvent plusieurs peekers, ces centrales électriques particulièrement polluantes, et où la prévalence de l’asthme est la plus élevée à New York.

« Quand les gens réalisent que nous allons remplacer l’équivalent de 15 peekers sur 16 à New York, ils disent automatiquement : “Wow ! la qualité de notre air va s’améliorer !” »

Selon Pete Rose, les membres des communautés défavorisées sont aussi heureux d’apprendre que les Mohawks de Kahnawà:ke sont copropriétaires de la ligne Hertel-New York, qui reliera le poste de Hertel, à La Prairie, à la ligne de transmission CHPE. Ces mêmes Mohawks qui ont façonné la silhouette de New York en tant que monteurs de charpentes métalliques contribueront ainsi à électrifier les gratte-ciel de la ville.

« C’est comme un cercle complet », commente Pete Rose.

Le New-Yorkais a lui-même bouclé une certaine boucle en apprenant qu’une autre légende de baseball, Jackie Robinson, premier joueur de couleur du baseball majeur, avait joué à Montréal, tout comme Pete Rose.

« C’est une des choses que j’ai découvertes en fréquentant le Québec », dit Pete Rose.

Bien sûr, durant ses années avec les Dodgers de Brooklyn, Jackie Robinson et sa femme Rachel ont habité dans Queens, l’arrondissement de New York le plus « branché » sur le Québec, où Pete Rose vit avec sa femme originaire du Maroc et leurs deux enfants.