(New York) À l’heure prévue, les grandes portes en fer forgé de l’Université Columbia se sont ouvertes, vendredi après-midi, permettant à un groupe de journalistes d’accéder au campus sous haute surveillance de Morningside Heights, près de Central Harlem, où des manifestants propalestiniens ont installé des dizaines de tentes et inspiré des étudiants d’un bout à l’autre des États-Unis.

En cette journée ensoleillée, le calme régnait sur le campement dressé sur la moitié de la pelouse qui s’étend devant l’imposante bibliothèque Butler. Mais les relations demeuraient tendues entre les manifestants et la direction de l’université, qui leur avait donné jusqu’à vendredi matin pour démonter leurs tentes. L’ultimatum a été ignoré.

En début de soirée, une des têtes d’affiche de la manifestation, Khymani James, s’est vu interdire l’accès au campus après la diffusion d’une vidéo remontant à janvier dernier dans laquelle il affirme que « les sionistes ne méritent pas de vivre », propos qu’il a reniés vendredi.

Avant cette interdiction, les voix suivantes se sont fait entendre sur le campus de l’Université Columbia et aux abords de cette prestigieuse institution au cœur de la tourmente.

Sueda Polat

« Je pense que la direction de l’université sous-estime notre pouvoir. Les étudiants ont démontré leur capacité de résilience. Ils sont ici depuis 10 jours… L’Université pense qu’elle peut nous avoir à l’usure. Ce n’est pas le cas. Nous resterons jusqu’à ce que nous parvenions à un accord négocié. »

Sueda Polat représente l’organisation Columbia University Apartheid Divest (CUAD) au sein de l’équipe de négociation des étudiants.

Les manifestants demandent notamment à l’université de se désinvestir des « entreprises et institutions qui profitent de l’apartheid, du génocide et de l’occupation israéliens » et de rompre ses liens avec les universités israéliennes. De son côté, la direction de l’université réclame le démantèlement du campement avant la traditionnelle cérémonie de remise des diplômes, qui doit avoir lieu au même endroit dans trois semaines.

Comme les autres membres de CUAD, Sueda Polat refuse de commenter les propos de Khymani James, porte-parole du groupe, invitant un journaliste à lire son mea culpa publié sur Instagram.

« Nous avons démontré de toutes les manières possibles qu’il s’agissait d’une manifestation pacifique et qu’elle respectait les règles de la liberté d’expression », dit l’étudiante à la maîtrise en réponse aux accusations d’antisémitisme dont font l’objet certains manifestants propalestiniens de l’Université Columbia.

Sebastian Gomez

« Je suis dans le campement depuis environ une semaine. J’avais l’impression qu’il était injuste de poursuivre mes études de la même manière qu’auparavant, qu’il était impossible de ne pas être solidaire de mes amis et de la population de Gaza. Je ne pouvais pas rester sur la touche et laisser mes amis à eux-mêmes dans le froid la nuit. »

Keffieh autour du cou, Sebastian Gomez, étudiant en physique appliquée, décrit un campement dont l’humeur est variable.

« Le campement est un endroit magnifique. Il y a de la musique, de la danse, des séminaires, de l’enseignement. Nous sommes ensemble. Nous avons accès à une nourriture délicieuse que les gens nous donnent. Mais les dirigeants de l’université propagent des rumeurs sur l’envoi de la police ou de la garde nationale. Ils essaient de nous terroriser psychologiquement et de nous fatiguer. Mais nous ne sommes pas fatigués. »

Ava Lyon-Sereno

« Il est très clair pour tout le monde ici que ce que fait l’État d’Israël est un génocide contre les Palestiniens. En tant qu’étudiante juive, j’estime qu’il est de ma responsabilité de me lever en raison de la façon dont j’ai été élevée. On m’a appris qu’être juif, c’est savoir ce qu’est l’oppression. Ainsi, lorsque je vois des personnes opprimées, il est de ma responsabilité de me lever et de dire que cela est mal. »

Âgée de 19 ans, Ava Lyon-Sereno, étudiante en études urbaines, ne remet pas en question les témoignages d’étudiants ou de professeurs qui se sentent menacés sur le campus de l’Université Columbia ou qui disent avoir été la cible de propos antisémites.

Mais, en parlant du campement propalestinien, elle dit : « Il y a beaucoup d’étudiants et de professeurs juifs ici. C’est l’endroit où je me sens le plus en sécurité sur le campus, où tout le monde est très tolérant et accueillant. »

Jonathan Ben-Menachem

« Je pense qu’il s’agit d’une distraction par rapport au massacre dans la bande de Gaza. Et il est très regrettable que la sécurité des étudiants juifs des universités les plus prestigieuses soit maintenant mise en avant au lieu des dizaines de milliers de personnes qui sont mortes au cours des six derniers mois. »

Jonathan Ben-Menachem, un des organisateurs de CUAD, réagit en ces termes à la couverture médiatique des manifestations propalestiniennes qui se multiplient sur les campus américains.

« J’ai entendu parler de véritables incidents d’antisémitisme. J’insiste sur le fait que CUAD est un groupe décentralisé composé de personnes de tous horizons. Et je dirai aussi que de véritables nazis et des suprémacistes blancs rôdent autour de l’université, essayant de semer la zizanie. J’ai même vu Gavin McInnes, l’un des fondateurs des Proud Boys, le jour où [le président de la Chambre des représentants] Mike Johnson est venu sur le campus. »

Esther Blum

« J’adore quand les gauchistes et les gens wokes utilisent l’expression “liberté d’expression” comme s’ils s’en souciaient. Ils n’en ont rien à cirer. De la même manière qu’ils se fichent des Palestiniens tout en disant s’en préoccuper. Parce que les Palestiniens souffrent sous le Hamas et qu’ils soutiennent le Hamas. »

Rencontrée à l’extérieur du campus de l’Université Columbia, Esther Blum, étudiante de 22 ans au John Jay College, reprend une des critiques souvent formulées à l’endroit des étudiants propalestiniens, surtout ceux qui s’identifient au groupe Students for Justice in Palestine.

« Ce groupe est soumis au Hamas. Il se blottit dans l’ombre d’une organisation terroriste. Le campement de l’Université Columbia est le parfait exemple de la faillite morale et intellectuelle de cette université. Tout le monde devrait le dire haut et fort. »

Premilla Nadasen

« Je crois fondamentalement au droit à la liberté d’expression et au droit de manifester. Depuis octobre, les étudiants organisent des manifestations. Elles ont été pacifiques. Il n’y a eu aucune forme de harcèlement ou de violence lors de ces manifestations. Pourtant, la direction a interdit deux organisations, Jewish Voice for Peace et Students for Justice in Palestine. Au Barnard College, la direction a pris le contrôle de tous les sites web. Elle a annulé des évènements. Il y a un réel problème avec ce que j’appellerais une forme d’autoritarisme sur ce campus. »

Premilla Nadasen est professeure d’histoire au Barnard College, établissement réservé aux femmes et rattaché à l’Université Columbia. Elle soutient le campement propalestinien qui a vu le jour sous sa forme actuelle après une descente policière sur le campus ayant mené à plus de 100 arrestations et contribué à la multiplication des manifestations étudiantes aux États-Unis.

« Tout cela a un impact négatif sur la question du débat et de la discussion. Ce qui se passe actuellement en Palestine et en Israël doit être débattu. C’est peut-être l’une des questions les plus importantes auxquelles notre monde doit faire face aujourd’hui. »