(New York) La première fois que David Lei a vu Flaco, le hibou grand-duc se tenait devant le Plaza Hotel, fixant de ses deux gros yeux jaune orangé les vitrines du magasin Bergdorf Goodman, situé de l’autre côté de la 5e Avenue, dans le quartier le plus huppé de Manhattan.

« Ses aigrettes étaient dressées verticalement », se souvient le photographe et ornithologue amateur en parlant des bouquets de plumes qui ornent la tête du hibou grand-duc, également appelé grand-duc d’Europe.

« C’est le signe qu’il était stressé. »

Flaco a beau appartenir à la famille des plus grands rapaces nocturnes du monde, il n’était vraiment pas dans son élément, en cette soirée du 2 février dernier. Il venait tout juste de s’échapper du zoo de Central Park, où un vandale avait éventré l’enclos où il vivait depuis plus de 10 ans.

PHOTO FOURNIE PAR DAVID LEI

Né en captivité, le grand-duc du zoo de Central Park avait du mal à se servir de ses ailes au début de sa vie d’oiseau de proie libre.

Mais que faire de cette liberté inopinée dans cette ville hérissée de gratte-ciel, quand on est un oiseau de proie né en captivité ? Question existentielle qui continue de fasciner New York, 10 mois plus tard.

David Lei, qui se trouve à avoir un faible pour les hiboux, se rappelle avoir souhaité que Flaco soit capturé. Or, pendant ses premières nuits de liberté, le prédateur en herbe était trop distrait par la multitude de rats qui grouillent dans Central Park pour s’intéresser à ceux que les employés du zoo plaçaient dans des pièges pour le ramener au bercail.

Hélas, Flaco ne semblait avoir du prédateur que le nom. D’une envergure de près de deux mètres, il avait du mal à se servir de ses ailes majestueuses.

« Je me suis dit : voici un pauvre animal, incapable de subvenir à ses besoins », raconte David Lei. « Mais j’ai changé d’opinion après qu’il a commencé à chasser avec succès, une semaine plus tard. Il allait pouvoir survivre seul.

PHOTO RICHARD HÉTU, COLLABORATION SPÉCIALE

David Lei, photographe et ornithologue amateur

Avec le temps, il a prouvé qu’il n’était un danger pour personne hormis les rats et les souris.

David Lei, photographe et ornithologue amateur

Des humains et des hiboux

Depuis l’évasion de Flaco, David Lei fait partie d’un groupe de photographes, de vidéastes et d’ornithologues amateurs de New York qui nourrissent sa légende sur les réseaux sociaux, au point d’en avoir fait une célébrité à laquelle s’intéressent les médias locaux et étrangers.

« Tout le monde aime Flaco, le hibou évadé. Mais pourquoi, au juste ? », s’est demandé le New York Times dans le titre d’un article sur l’histoire d’amour entre New York et ce rapace, qui n’est pas le premier dont cette métropole s’entiche.

Karla Bloem a sa propre théorie.

« Depuis la nuit des temps, les humains sont fascinés par les hiboux », dit la directrice du Centre international du hibou, qui suit du Minnesota les aventures de Flaco à New York.

Si vous parcourez l’histoire, la plupart des cultures les ont aimés ou détestés ; peu d’entre elles étaient ambivalentes à leur sujet. Ils ont inspiré la peur, ils ont été considérés comme des messagers ou des symboles de sagesse. Il y a même des endroits, comme Hokkaido, au Japon, où le hibou est vénéré comme un dieu.

Karla Bloem, directrice du Centre international du hibou

Flaco n’en est pas encore là. Mais il n’est pas le premier rapace à faire les manchettes à New York, où l’apparition d’animaux sauvages ou exotiques ne manque jamais de susciter l’émoi.

PHOTO FOURNIE PAR DAVID LEI

La chouette Barry, immortalisée par David Lei

Une chouette rayée appelée Barry a ainsi séduit et diverti bon nombre d’ornithologues et de visiteurs à Central Park, où elle a établi ses pénates en octobre 2020, en plein cœur de la pandémie.

David Lei a pris une des plus belles photos de la chouette, l’immortalisant pendant qu’elle se mirait dans l’eau d’une fontaine.

« C’était une créature charismatique, aussi impertinente, confiante et constante que Hedwige, la bien-aimée d’Harry Potter. Un professeur aussi sage et enjoué que l’Archimède de Merlin », a écrit le New York Times le 11 août 2021, quelques jours après la mort de Barry.

La chouette avait été happée par un camion d’entretien de Central Park. Un examen a décelé la présence de rodenticide dans son corps.

En quête de l’âme sœur ?

Tous les amis de Flaco craignent qu’il finisse comme Barry, tué par un véhicule ou par du poison à rat (interdit à Central Park). En captivité, le hibou grand-duc aurait pu vivre une trentaine ou une quarantaine d’années, selon Karla Bloem. En liberté à New York, il risque sa vie chaque jour.

D’où la crainte des admirateurs de Flaco après sa disparition soudaine de Central Park, fin octobre. Où était-il passé ? Lui était-il arrivé un malheur ?

  • Depuis son évasion, Flaco explore New York, devant les objectifs des photographes et des vidéastes amateurs qui documentent ses faits et gestes sur les réseaux sociaux, faisant ainsi du grand-duc new-yorkais en cavale une célébrité.

    PHOTO FOURNIE PAR DAVID LEI

    Depuis son évasion, Flaco explore New York, devant les objectifs des photographes et des vidéastes amateurs qui documentent ses faits et gestes sur les réseaux sociaux, faisant ainsi du grand-duc new-yorkais en cavale une célébrité.

  • Depuis son évasion, Flaco explore New York, devant les objectifs des photographes et des vidéastes amateurs qui documentent ses faits et gestes sur les réseaux sociaux, faisant ainsi du grand-duc new-yorkais en cavale une célébrité.

    PHOTO FOURNIE PAR DAVID LEI

    Depuis son évasion, Flaco explore New York, devant les objectifs des photographes et des vidéastes amateurs qui documentent ses faits et gestes sur les réseaux sociaux, faisant ainsi du grand-duc new-yorkais en cavale une célébrité.

  • Depuis son évasion, Flaco explore New York, devant les objectifs des photographes et des vidéastes amateurs qui documentent ses faits et gestes sur les réseaux sociaux, faisant ainsi du grand-duc new-yorkais en cavale une célébrité.

    PHOTO FOURNIE PAR DAVID LEI

    Depuis son évasion, Flaco explore New York, devant les objectifs des photographes et des vidéastes amateurs qui documentent ses faits et gestes sur les réseaux sociaux, faisant ainsi du grand-duc new-yorkais en cavale une célébrité.

  • Depuis son évasion, Flaco explore New York, devant les objectifs des photographes et des vidéastes amateurs qui documentent ses faits et gestes sur les réseaux sociaux, faisant ainsi du grand-duc new-yorkais en cavale une célébrité.

    PHOTO FOURNIE PAR DAVID LEI

    Depuis son évasion, Flaco explore New York, devant les objectifs des photographes et des vidéastes amateurs qui documentent ses faits et gestes sur les réseaux sociaux, faisant ainsi du grand-duc new-yorkais en cavale une célébrité.

1/4
  •  
  •  
  •  
  •  

Le grand-duc d’Europe a été trouvé une semaine plus tard, parmi les arbres et les sculptures du Kenkeleba House Garden, galerie d’art à ciel ouvert située dans le quartier East Village, à 8 km au sud de Central Park.

Mais que faisait-il à cet endroit ? L’hypothèse de David Barrett, photographe et animateur du compte Manhattan Bird Alert sur X, a frappé l’imagination du public et inspiré de nombreux journalistes. Le hibou grand-duc était en quête de l’âme sœur.

« C’est la période de l’année où ces hiboux cherchent à s’accoupler s’ils ne sont pas attachés », a-t-il avancé. « Les hululements de Flaco sont restés longtemps sans réponse. Il ignore qu’il n’y a aucune compagne pour lui dans la région. »

Depuis lors, Flaco est retourné à Central Park pour chasser, mais il n’y passe plus toutes ses journées. Selon les observateurs, il en aurait assez d’être harcelé par des bandes de corneilles et de geais bleus criards qui veulent éloigner ce superprédateur qui peut se nourrir d’oiseaux quand il se lasse de son régime de rongeurs.

La légende de Pale Male

Lundi après-midi, David Lei et David Barrett ont donc trouvé Flaco perché sur une échelle de secours surplombant la cour intérieure d’un immeuble situé dans la 80e Rue, à un pâté de maisons et demi à l’ouest de Central Park.

« Il y a un hibou dans la cour », avait écrit le matin une résidante de l’immeuble à son mari dans un texto accompagné d’une photo du rapace.

« C’est Flaco ! », a répondu le mari avant de contacter David Barrett, dont il suit le compte sur X.

En fin de journée, avant que Flaco ne s’envole vers Central Park pour sa virée nocturne, le couple a permis à quatre photographes et vidéastes, dont les deux David, de passer par son appartement pour observer Flaco, qui trônait encore sur son échelle, au cinquième étage de l’immeuble.

David Lei décrit la scène : « Il a répété la routine habituelle à laquelle il se livre avant de partir à la chasse. Celle-ci inclut une période de toilettage, d’étirements et de défécation. Il a fait tout cela, mais un peu plus rapidement que d’habitude. »

PHOTO TIRÉE DE WIKIPÉDIA

La buse Pale Male se nourrissant d’un pigeon en 2011

Malgré sa popularité, Flaco a encore fort à faire pour éclipser dans le cœur des New-Yorkais Pale Male, une buse à queue rousse morte en mai dernier, soit 33 ans après avoir surpris les spécialistes en construisant son nid sur la corniche d’un immeuble de grand luxe de la 5e Avenue, en face de Central Park. La légende de Pale Male, un documentaire primé de Frederic Lilien, évoque également ses nombreuses compagnes, dont First Love, Chocolate, Blue, Lola, Lima et Zena.

N’empêche, Flaco a déjà laissé sa marque.

« Son histoire suscite un écho chez nous, soutient David Lei. On ne s’attendait pas à ce qu’il réussisse à survivre. Il survit. Il profite de sa liberté, explore la ville. Les gens s’inquiètent pour lui d’une manière compréhensible. Moi aussi. Je préférerais qu’il soit dans le parc. Mais les gens l’admirent aussi parce qu’il change et fait des choses différentes. »

Tel un vrai New-Yorkais.