(New York) Le témoignage très attendu de Donald Trump à son procès pour fraude à New York s’est transformé par moments en foire d’empoigne entre l’ancien président et le juge chargé de déterminer l’avenir des joyaux new-yorkais de la Trump Organization.

Après s’être exprimé d’une voix feutrée pendant les deux premières heures de son témoignage, le milliardaire de 77 ans, vêtu d’un complet bleu marine et d’une cravate bleu pâle, s’est emporté à plusieurs reprises contre la procureure générale de l’État de New York, Letitia James, et la personne la plus importante de ce procès sans jury.

« C’est une chose terrible que vous avez faite », a-t-il déclaré en s’adressant au juge Arthur Engoron. « Vous ne savez rien de moi. »

Puis, en référence à Letitia James, présente dans la salle d’audience bondée, il a ajouté : « Vous croyez ce valet politique. Soit les gens sont très stupides, soit il y a une fraude. »

PHOTO EDUARDO MUNOZ ALVAREZ, ASSOCIATED PRESS

Letitia James, procureure générale de l’État de New York

Le premier ex-président américain à témoigner pour sa défense dans un procès depuis Theodore Roosevelt faisait allusion à une décision rendue par le juge Engoron à la fin du mois de septembre, soit avant même le début du procès civil pour fraude intenté par la procureure générale.

Actifs gonflés

Donnant raison à Letitia James, le magistrat a estimé que Donald Trump et deux de ses fils avaient gonflé frauduleusement les actifs de la Trump Organization afin d’obtenir des prêts plus avantageux auprès des banques et des conditions d’assurance plus favorables, de 2011 à 2021. Il a également ordonné la liquidation des sociétés gérant les tours emblématiques de l’entreprise à New York, dont la Trump Tower et le 40 Wall Street, décision qui fait l’objet d’un appel.

À l’issue du procès actuel, qui en est à sa sixième semaine, le juge Engoron devra déterminer dans quelle mesure Donald Trump devrait être pénalisé. La procureure générale de New York réclame une amende de 250 millions de dollars et une interdiction permanente de gérer une entreprise dans l’État.

Après avoir prêté serment, main levée, Donald Trump n’a pas aidé sa cause en reconnaissant avoir joué un rôle dans la préparation des documents sur l’évaluation de ses propriétés. « Je les regardais, je les voyais et, à l’occasion, j’avais peut-être quelques suggestions à faire », a-t-il dit au début de son témoignage.

Il a cependant ajouté qu’il était trop occupé à la Maison-Blanche pour s’intéresser aux déclarations financières de son entreprise en 2021.

« Mes priorités étaient la Chine, la Russie et le maintien de la sécurité du pays », a-t-il dit.

« Juste pour clarifier les choses, vous n’étiez pas président en 2021 », a rétorqué Kevin Wallace, l’avocat représentant la procureure générale de New York.

« Non, je ne l’étais pas », a admis l’ancien président.

« C’est une salle d’audience »

Mais le témoin n’a pas toujours été aussi concis à la barre. À plusieurs reprises, le juge Engoron l’a sommé de s’en tenir à des réponses brèves plutôt que de se perdre en « discours » sur la « chasse aux sorcières » ou la « guerre politique » dont il s’est dit victime.

« Je vous demande de le contrôler si vous le pouvez », a-t-il dit, exaspéré, à l’un des avocats du témoin. « Si vous n’y arrivez pas, je le ferai. Je vais l’excuser et tirer toutes les conclusions négatives que je peux. Ce n’est pas un rassemblement politique. C’est une salle d’audience. »

Donald Trump a répliqué : « C’est un procès très inéquitable. Et j’espère que le public regarde. »

Entre deux sautes d’humeur et une réprimande du juge, le témoin a repris l’un de ses arguments favoris dans ce dossier. Il a ainsi répété que les déclarations financières de son entreprise comportaient des clauses de non-responsabilité « très, très puissantes » et que ces documents n’étaient donc pas destinés à être utilisés par les banques ou les assureurs.

« Nous avons une clause de non-responsabilité qui stipule qu’il faut faire preuve de diligence raisonnable et qu’il ne faut en aucun cas compter sur quoi que ce soit dans ce document », a-t-il dit.

« Non, non, non, non », l’a interrompu le juge pendant que le témoin en rajoutait sur ce thème. « Nous n’allons pas entendre parler de la clause de non-responsabilité. Si vous voulez entendre parler de la clause de non-responsabilité, relisez ma décision – ou lisez la pour la première fois, peut-être. »

Donald Trump ne lui a pas laissé avoir le dernier mot sur ce sujet. « Vous avez tort dans votre opinion », a-t-il insisté.

Sondages favorables à Trump

Le témoin n’a pas été le seul à faire dévier le débat vers le champ politique. L’un de ses avocats, Chris Kise, l’a appelé le « futur président » des États-Unis en faisant référence aux résultats d’un sondage publié dimanche par le New York Times.

Selon ce sondage qui a terrifié bon nombre de démocrates, l’ancien président jouit d’une avance de 4 à 10 points de pourcentage dans cinq des six États qui ont déterminé le vainqueur de l’élection présidentielle de 2020 – Géorgie, Arizona, Nevada, Michigan et Pennsylvanie.

Le baromètre indique que les électeurs font beaucoup plus confiance à Donald Trump qu’à son successeur pour ce qui a trait à la gestion de l’économie.

C’est dire que Donald Trump ne pâtit pas des 91 chefs d’accusation le visant dans quatre affaires pénales. Mais une condamnation dans l’affaire du complot postélectoral à Washington pourrait lui faire perdre 6 points de pourcentage dans les États clés – et la Maison-Blanche –, selon un résultat du sondage du Times publié lundi.

Les conséquences politiques dans ce procès civil où Donald Trump ne risque pas la prison sont moins claires. Mais le promoteur immobilier prend l’affaire très au sérieux, comme le prouvent ses écarts à la barre. C’est son image d’homme d’affaires qui est en jeu.

« Je suis devenu président grâce à ma marque », a-t-il d’ailleurs dit à la barre.

Les avocats de la poursuite mettront fin à leur présentation mercredi en appelant à la barre Ivanka Trump, fille de l’ancien président. Les avocats de la défense estiment que leur présentation se terminera le 15 décembre.