(New York) Élu à la Chambre des représentants en novembre 2006, Jim Jordan n’a pas encore réussi à proposer un seul projet de loi à la Chambre des représentants qui ait été promulgué par un président.

Ce bilan n’est pas vraiment étonnant si l’on considère quelques-unes des expressions qui ont été utilisées au fil des années pour décrire le représentant républicain de l’Ohio : « lanceur de bombes », « cracheur de feu » et « terroriste législatif ». Fait remarquable : c’est un républicain et non un démocrate qui a employé le mot « terroriste » pour définir en 2015 ce trublion ultraconservateur qui allait devenir l’un des plus farouches alliés de Donald Trump au Congrès américain.

Fait encore plus remarquable : ce même homme est devenu vendredi dernier le candidat désigné de son parti pour la présidence de la Chambre, fonction qui demande en temps normal une capacité de négocier et de piloter des projets de loi.

Jim Jordan ne réussira peut-être pas à succéder à Kevin McCarthy, destitué le 3 octobre dernier à la suite de la mutinerie d’une poignée de républicains ultraconservateurs ou assoiffés de publicité. Il se butera peut-être au chaos qui a poussé le candidat désigné précédent, le représentant de Louisiane Steve Scalise, à retirer sa candidature, jeudi dernier.

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Le représentant républicain de Louisiane, Steve Scalise, jeudi dernier

Mais il y a tout de même quelque chose de stupéfiant dans le seul fait qu’il ait aujourd’hui une chance d’être élu à une position qui le placerait au sommet de la hiérarchie du pouvoir au Congrès américain et au deuxième rang dans l’ordre de succession présidentielle.

Un rôle « important » dans l’assaut du Capitole

Car Jim Jordan a hérité d’une nouvelle étiquette il y a un an : « insurgé ». Selon le rapport final de la commission d’enquête de la Chambre sur l’assaut du 6 janvier 2021 contre le Capitole, il a joué un rôle « important » dans l’effort de Donald Trump pour bloquer la certification des résultats de l’élection présidentielle de 2020 par le Congrès.

« Il a participé à de nombreuses réunions postélectorales au cours desquelles de hauts responsables de la Maison-Blanche, Rudolph Giuliani et d’autres ont discuté de stratégies pour contester l’élection, notamment en affirmant que l’élection avait été entachée de fraude », indique le rapport. « Le 2 janvier 2021, le représentant Jordan a dirigé une conférence téléphonique au cours de laquelle lui, le président Trump et d’autres membres du Congrès ont discuté de stratégies visant à retarder la session conjointe du 6 janvier. Au cours de cet appel, le groupe a également discuté de la publication de messages sur les réseaux sociaux encourageant les partisans du président Trump à ‟marcher vers le Capitole” le 6 janvier. »

Le rapport décrit ensuite un texto que Jordan a envoyé à Mark Meadows, alors chef de cabinet de la Maison-Blanche, le 5 janvier 2021, « transmettant un conseil selon lequel le vice-président Pence devrait ‟désigner tous les votes électoraux qu’il estime inconstitutionnels comme n’étant pas des votes électoraux du tout”. »

Jim Jordan, qui préside aujourd’hui la commission judiciaire de la Chambre, a refusé de collaborer avec la commission sur le 6-Janvier ou d’expliquer la nature de ses appels téléphoniques avec le président autour de cette date, dont l’un a duré 18 minutes. Chose certaine, ce qu’il a fait a plu à Trump. Le 11 janvier 2021, ce dernier lui a décerné la médaille présidentielle de la Liberté, la plus haute décoration civile des États-Unis, lors d’une cérémonie privée.

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Le représentant Jim Jordan accueille Donald Trump, alors président des États-Unis, durant un évènement partisan en août 2018.

Et il appuie aujourd’hui la candidature du cofondateur du Freedom Caucus, groupe de représentants ultraconservateurs ou extrémistes, à la présidence de la Chambre.

« Il sera un excellent président de la Chambre des représentants et a mon soutien total et complet ! », a lancé Trump sur Truth Social peu après minuit, le 6 octobre dernier.

« Insurgé »

Vendredi dernier, la numéro deux des démocrates de la Chambre, la représentante du Massachusetts Kathleen Clark, a utilisé le mot « insurgé » pour décrire Jim Jordan, comme d’autres l’avaient fait avant elle. Le même jour, l’ancienne représentante républicaine du Wyoming Liz Cheney, membre de la commission d’enquête sur le 6-Janvier, l’a décrit comme tel sur X.

Jim Jordan a participé au complot de Trump pour voler l’élection et s’emparer du pouvoir ; il a insisté pour que Pence refuse de compter les votes électoraux légaux. Si les républicains nomment Jordan au poste de speaker, ils abandonneront la Constitution. Ils perdront la majorité à la Chambre et ils le mériteront.

Liz Cheney, ancienne représentante républicaine du Wyoming

Les républicains de la Chambre ne sont pas encore tout à fait là. Vendredi dernier, lors d’un vote interne, Jim Jordan a récolté 124 voix, contre 81 à son adversaire peu connu. Un autre vote interne a révélé peu après que 55 représentants républicains ont exprimé leur opposition à l’élection de Jordan au poste de « speaker ». Or, Jordan ne pourrait pas perdre plus de quatre voix républicaines à l’occasion d’un vote en séance plénière.

Le représentant de l’Ohio et ses alliés ont donc passé le week-end à exercer de fortes pressions auprès des récalcitrants. Amy Kramer, organisatrice du Tea Party et du mouvement « Stop the Steal », a notamment publié sur X les numéros de téléphone de 12 représentants anti-Jordan et demandé à ses abonnés de les contacter pour les forcer à changer d’avis.

Cette stratégie confinant à l’intimidation aidera-t-elle Jim Jordan à obtenir les 217 votes républicains dont il a besoin pour devenir président de la Chambre ? La réponse pourrait venir dès mardi. En attendant, la Chambre demeure paralysée pour la troisième semaine, au moment où son aide est requise par deux pays en guerre, l’Ukraine et Israël, et où le gouvernement américain est à un mois et un jour de ne plus avoir d’argent pour financer ses services.

L’ancien président de la Chambre, John Boehner, celui-là même qui avait qualifié Jim Jordan de « terroriste législatif », ne voit sans doute pas en lui la solution à cette paralysie sans précédent. Idem pour tous ceux qui le considèrent comme un « insurgé ».