(New York) Fin septembre, deux responsables de l’administration Biden ont effectué une visite très discrète en Arabie saoudite pour poursuivre les négociations sur un accord ambitieux qui pourrait transformer le Moyen-Orient et freiner les ambitions de la Chine dans la région.

Dans le cadre de cet accord, l’Arabie saoudite accepterait de normaliser ses relations diplomatiques avec Israël en échange d’un traité de défense mutuelle avec les États-Unis, de la mise en place d’un programme nucléaire civil et de l’accès à davantage d’armes américaines.

Selon le site d’information Axios, qui révélait mercredi dernier la tenue de ces pourparlers entre les visiteurs américains et des responsables saoudiens, dont le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS), il restait encore des questions importantes à négocier, dont « une composante palestinienne ».

Trois jours après la publication de l’article d’Axios, la soi-disant composante palestinienne s’est manifestée par une offensive-surprise du Hamas en Israël qui met en péril le grand jeu de Joe Biden au Moyen-Orient et chamboule sa politique étrangère.

Le Moyen-Orient ne devait pourtant pas occuper une place de choix dans la politique étrangère de Joe Biden, et encore moins l’Arabie saoudite de MBS. En campagne électorale, le futur président avait promis de traiter ce pays en « paria » à la suite de l’assassinat du journaliste dissident Jamal Khashoggi pour lequel MBS est directement pointé du doigt.

PHOTO BANDAR ALGALOUD, ARCHIVES REUTERS

Le président des États-Unis, Joe Biden, et le prince héritier d’Arabie saoudite, Mohammed ben Salmane, en juillet 2022

« L’engagement de l’Amérique en faveur des valeurs démocratiques et des droits de l’homme sera une priorité, même avec nos partenaires les plus proches en matière de sécurité », a déclaré Joe Biden en octobre 2020 lors du deuxième anniversaire de l’assassinat de Khashoggi.

La guerre en Ukraine a tout changé. En juin 2022, Joe Biden s’est rendu à Riyad et a pactisé avec MBS dans l’espoir de faire baisser les prix de l’essence aux États-Unis et d’isoler la Russie sur la scène internationale.

Mais c’est la Chine qui a fait basculer le président démocrate dans la realpolitik la plus pure. En avril dernier, moins d’un mois après avoir contribué à la reprise des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran, Pékin a réussi un tour de force en organisant une rare rencontre entre les ministres des Affaires étrangères de ces deux pays ennemis, qui ont dès lors promis de travailler de concert afin d’œuvrer à la « sécurité, la stabilité et la prospérité » au Moyen-Orient.

Conséquences de l’« occupation »

De là est né le projet de contrer l’influence de la Chine dans cette région en travaillant à la normalisation des relations diplomatiques entre Israël et l’Arabie saoudite. Or, ce projet a peut-être subi un coup mortel samedi. La réaction initiale de Riyad à l’offensive du Hamas a replacé la « composante palestinienne » au cœur du différend historique entre Israël et l’Arabie saoudite. Le ministère saoudien des Affaires étrangères a refusé de condamner les attaques du mouvement islamiste palestinien contre les civils israéliens, rejetant le blâme sur l’État juif.

Selon Riyad, ces actions étaient le résultat de « la poursuite de l’occupation, de la privation du peuple palestinien de ses droits légitimes et de la répétition des provocations systémiques contre ses valeurs sacrées ».

Et la réplique israélienne à l’offensive du Hamas ne devrait pas arranger les choses aux yeux de l’Arabie saoudite.

Israël voyait d’un bon œil une normalisation de ses relations diplomatiques avec l’Arabie saoudite qui lui procurerait un allié arabe important pour affronter l’Iran, son ennemi mortel au Moyen-Orient.

Surtout si cette normalisation suivait le modèle des accords d’Abraham, ces traités de paix entre Israël et deux pays du golfe Persique, les Émirats arabes unis et Bahreïn.

Dans les deux cas, la question palestinienne avait été évacuée, ce qui convenait autant à Israël qu’à Jared Kushner, l’un des promoteurs américains de ces traités. Aux yeux de ce diplomate en herbe, cette question constituait un problème insoluble auquel il était justifié de tourner le dos une fois pour toutes.

Il n’en fallait pas plus pour que le plus important des promoteurs américains de ces traités, Donald Trump, se mette alors à célébrer « la nouvelle aube du Moyen-Orient ».

Mais l’aube qui s’est levée ce mardi sur le Moyen-Orient ne donne pas le goût de célébrer.

L’espoir de négociations

Lors de sa plus récente rencontre avec Joe Biden à New York, le premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou avait reconnu qu’un accord avec l’Arabie saoudite devait préserver la solution à deux États, l’un juif, l’autre arabe, pour régler le conflit israélo-palestinien.

Mais les membres de son entourage avaient laissé entendre en confidence que MBS n’était pas vraiment intéressé par la question palestinienne. Même si c’était vrai, la guerre entre Israël et le Hamas force désormais le royaume saoudien à se préoccuper du sort des Palestiniens, et notamment des deux millions de citoyens de la bande de Gaza, où un siège complet a été décrété pendant que se poursuivent les bombardements israéliens en attendant une opération terrestre probable.

Qu’à cela ne tienne : l’administration Biden n’a pas abandonné l’espoir de maintenir en vie les négociations entre Israël et l’Arabie saoudite.

« Cela changerait vraiment les perspectives de toute la région pour l’avenir », a déclaré dimanche le secrétaire d’État américain Antony Blinken sur CBS News. « Qui s’y oppose ? Le Hamas, le Hezbollah, l’Iran. Je pense que cela en dit long. Et il y a vraiment deux voies devant la région. »

Le chef de la diplomatie américaine a oublié de mentionner la Chine, qui propose une troisième voie au Moyen-Orient, au grand dam de Joe Biden.