(New York) Vêtue d’un tailleur blanc acheté au rabais, une femme de 27 ans et inconnue du grand public a ébranlé l’homme le plus puissant de la planète, le 28 juin 2022, lors d’un témoignage à la fois explosif et courageux à Washington.

S’exprimant devant une commission d’enquête du Congrès et quelque 13 millions de téléspectateurs, Cassidy Hutchinson a multiplié ce jour-là les allégations sensationnelles, dont les suivantes : Donald Trump se fichait du fait qu’un certain nombre de ses partisans étaient armés lors du rassemblement qui a précédé l’attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole ; il a piqué une colère noire quand ses gardes du corps ont refusé de le conduire au Capitole après le rassemblement ; et il a réagi aux appels à la pendaison de Mike Pence, son vice-président, en disant qu’il les méritait.

Un an et quelques mois après ce témoignage qui a contribué à l’inculpation de Donald Trump pour complot postélectoral à Washington, Cassidy Hutchinson revient à la charge avec un livre intitulé Enough, dont les allégations les plus croustillantes ont fait les manchettes la semaine dernière.

À la fin de la présidence de Donald Trump, Mark Meadows, ancien chef de cabinet de la Maison-Blanche et patron de Cassidy Hutchinson, a brûlé tellement de documents dans le foyer de son bureau que sa femme s’est plainte de l’odeur de feu de bois qui se dégageait de ses complets.

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L’ancien chef de cabinet de Donald Trump Mark Meadows

« Je ne sais pas précisément quels papiers Mark brûlait, mais ses actions ont suscité l’inquiétude », écrit son ancienne collaboratrice dans son livre.

Rudolph Giuliani, lui, a suscité le dégoût de Cassidy Hutchinson pendant le rassemblement du 6 janvier 2021 en glissant sa main sous son blazer, puis sous sa jupe.

« Je sens le bout de ses doigts gelés remonter le long de ma cuisse. Il relève le menton. Le blanc de ses yeux a l’air d’une jaunisse. Mon regard se porte sur John Eastman, qui affiche un sourire narquois », écrit-elle en faisant allusion à l’avocat conservateur qui fait aujourd’hui partie des 19 coaccusés dans le complot postélectoral pour lequel il a été inculpé en Géorgie avec Giuliani, Trump et Meadows.

Tant Giuliani que Meadows ont nié les allégations les visant dans Enough.

Seuil de tolérance

Parmi les révélations du livre que personne ne peut nier : de son propre aveu, Cassidy Hutchinson espérait suivre Donald Trump en Floride après son départ de la Maison-Blanche et travailler pour celui qu’elle considère aujourd’hui comme une menace pour la démocratie américaine.

L’intérêt de son livre de 384 pages, écrit avec l’aide de Mark Salter, ex-rédacteur des discours et des livres de John McCain, tient en grande partie à cet aveu et à la question qu’il engendre : comment celle qui a fourni le témoignage le plus accablant contre l’ancien président a-t-elle pu songer à vouloir le servir à Mar-a-Lago ?

Sans vouloir jouer au psychologue amateur, il est difficile de ne pas conclure que Cassidy Hutchinson a développé un seuil de tolérance élevé pour les hommes toxiques en côtoyant son père. Peu après le divorce de ses parents, Hutchinson, alors adolescente, reçoit un texto de son père l’informant qu’il avait laissé pour elle un « cadeau » dans la boîte aux lettres de sa mère. Elle y découvre, enveloppés dans du papier d’aluminium, « deux cœurs de cerf encore chauds et dégoulinants de sang ».

Malgré ce père instable, abusif et peut-être malade, Cassidy Hutchinson devient le premier membre de sa famille du New Jersey à décrocher un diplôme universitaire. Douée d’entregent et d’un sens de l’organisation hors du commun, elle est tour à tour stagiaire à la Chambre des représentants, au Sénat et à la Maison-Blanche. Dès la fin de ses études, Mark Meadows la recrute et fait vite d’elle sa collaboratrice la plus importante.

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Atteint de la Covid-19, l’ancien président Donald Trump descend de Marine One au côté de son chef de cabinet, Mark Meadows, en octobre 2020.

Cassidy Hutchinson se jette corps et âme dans son travail, recevant avec plaisir les compliments de son patron ou du président et fermant les yeux sur leurs comportements les plus douteux, dont leurs mensonges concernant le moment précis où Trump a attrapé la COVID-19 en septembre 2020.

Elle n’est quand même pas sourde. Dans son livre, elle prête cette déclaration à Meadows, qui remonte à juin 2020 : « Cass, si je parviens à faire ce travail et à éviter la prison à [Trump], j’aurai fait du bon boulot. »

Elle se targue de faire partie du « cercle de confiance » au sein duquel évoluent les personnes les plus loyales à Donald Trump. Pour autant, sa loyauté ne lui épargne pas les colères de Meadows, qui se montre de plus en plus exigeant envers elle.

« Tu vaux mieux que ça »

Et cette loyauté ne l’abandonne pas après le refus de Trump d’accepter les résultats de l’élection présidentielle de 2020 ou même après l’attaque contre le Capitole. Elle espère toujours un emploi auprès de Trump après sa présidence, confiant à sa mère qu’elle peut l’aider à mettre de l’ordre dans le chaos qui l’entoure.

Sa mère lui répond : « Ce n’est pas toi. Tu vaux mieux que ça. Tu ne peux pas le réparer ! »

Cassidy Hutchinson tournera le dos à Trump une fois pour toutes après avoir été injustement accusée par ce dernier d’avoir fait fuiter des informations aux médias et avoir vu s’envoler les promesses d’un emploi à Mar-a-Lago.

Et elle tournera le dos à son père une fois pour toutes après l’avoir vu lancer à la poubelle le mandat à comparaître que la commission d’enquête sur l’attaque du Capitole lui a transmis. Partisan irréductible de Donald Trump, le père traitera de « salope » sa fille venue lui demander une aide financière pour retenir les services d’un avocat qui ne soit pas associé à l’ex-président.

Se sentant prisonnière, Cassidy Hutchinson se tournera alors vers deux femmes – Alyssa Farrah, ex-directrice des communications de la Maison-Blanche sous Donald Trump, et Liz Cheney, ex-représentante républicaine du Wyoming – qui l’aideront à trouver deux avocats républicains d’expérience prêts à la représenter pro bono.

Le reste appartient à l’histoire.