(Washington) La Cour suprême des États-Unis a effectué sa rentrée lundi pour une session largement axée sur la liberté d’expression, le port d’arme et les droits civiques, avec pour enjeu des décisions potentiellement lourdes de conséquences pour les élections de 2024.

Les neuf juges nommés à vie, six par des présidents républicains et trois par des démocrates, se retrouvent dans un climat de profonde suspicion, alimentée notamment par les largesses accordées par des milliardaires aux deux juges les plus conservateurs, Clarence Thomas et Samuel Alito.

Le prestige de cette institution cruciale de la démocratie américaine a sombré à des niveaux inédits. Seuls 41 % des Américains approuvent son action, selon un sondage Gallup publié vendredi.

Quelques dizaines de manifestants étaient rassemblés lundi devant la Cour, brandissant des pancartes appelant à la démission de Clarence Thomas et les juges à ne plus « défendre les milliardaires ».

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Le juge Clarence Thomas

Mais la Cour, qui doit en grande partie ce discrédit au renversement de deux piliers de la société libérale des années 1960-1970, la garantie fédérale du droit à l’avortement et la discrimination positive à l’université, pourrait être en train de s’assagir.

Division

« L’avant-dernière session a été une catastrophe pour les libertés et les droits civiques », en raison en particulier de la décision sur l’avortement en juin 2022, observe David Cole, directeur juridique de l’influente organisation de défense des droits civiques ACLU.

Mais lors de la session suivante, les juges se sont « bien moins souvent divisés » en fonction de la couleur politique du président qui les a nommés, y compris sur des « dossiers controversés », souligne David Cole.

Selon lui, les prochains débats permettront de comprendre si la Cour se partage « en six contre trois, ou bien, comme beaucoup le pensent, en 3-3-3 : les trois nommés par des présidents démocrates contre les trois conservateurs extrémistes », avec les trois autres juges, y compris le président John Roberts, « qui déterminent les résultats ».

Enseignante en droit à l’Université George Mason, Jennifer Mascott considère, elle, que les juges se répartissent plutôt entre « cinq conservateurs » et les quatre autres, dont M. Roberts.

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Le juge en chef de la Cour suprême des États-Unis, John Roberts

« Le président se rallie lorsque la décision peut être formulée de manière à ne pas renverser explicitement une jurisprudence importante », explique cette juriste qui a travaillé auprès du juge Thomas et d’un de ses actuels collègues, Brett Kavanaugh.

« Race et affiliation politique »

Parmi la trentaine de dossiers inscrits à l’agenda, peu apparaissent susceptibles de bouleverser encore la vie des Américains, à moins que la Cour suprême ne décide d’y ajouter les conditions d’accès à la pilule abortive ou les droits des personnes transgenres.

Mais après une première séance lundi consacrée à des questions sémantiques dans l’interprétation d’une loi sur les peines pour trafic de drogue, dès mardi, elle se plongera dans le financement du Bureau de la protection financière des consommateurs (CFPB), chargé notamment de réguler le crédit.

Une confirmation de l’arrêt d’une cour d’appel fédérale ultraconservatrice concluant à l’inconstitutionnalité du financement du CFPB, créé après la crise de 2008, pourrait déclencher une réaction en chaîne dans l’économie.

Les décisions de la Cour devraient aussi peser sur les scrutins législatif et présidentiel de 2024, alors que les cartes électorales font l’objet de contentieux judiciaires dans une dizaine d’États.

Elle se prononcera ainsi sur le découpage électoral de la majorité républicaine en Caroline du Sud qui a « exilé 30 000 citoyens afro-américains de leur précédente circonscription », selon les juges de première instance.

Si le découpage électoral partisan (« gerrymandering ») est autorisé, il est interdit sur des bases raciales. « Or, dans beaucoup d’endroits, race et affiliation politique se confondent », souligne David Cole, d’où la difficulté de « démêler l’une de l’autre ».

La Cour suprême interviendra également sur les règles du débat public, qui s’annonce féroce en vue de 2024. Elle examinera les lois sur la modération de contenu imposées aux réseaux sociaux par deux États à majorité républicaine dénonçant une « censure » des opinions conservatrices.

Et pour la première fois depuis un arrêt de juin 2022, elle se saisira de la question du port d’armes, particulièrement prégnante aux États-Unis.

Les juges devront arbitrer entre leur interprétation de ce droit consacré par le Deuxième amendement de la Constitution et une loi fédérale interdisant aux personnes frappées par une mesure d’éloignement pour violence conjugale de détenir une arme.