Cinq accusés détenus à Guantánamo pourraient négocier une reconnaissance de culpabilité

Les procureurs chargés du dossier mènent des pourparlers avec les avocats de Khalid Cheikh Mohammed et de quatre présumés complices pour en arriver à des reconnaissances de culpabilité négociées relativement à leur rôle dans les attentats du 11 septembre 2001.

La démarche déplaît à des familles de victimes de l’attaque, qui voient d’un mauvais œil la possibilité que les cinq hommes, détenus aujourd’hui à Guantánamo, n’aient pas de procès en bonne et due forme et soient condamnés du coup à une peine d’emprisonnement à vie plutôt qu’à la peine capitale.

« Je ne suis pas vraiment contente de ce qui est en train de se passer. En fait, je trouve ça scandaleux », relève en entrevue avec La Presse Terry Strada, qui a perdu son conjoint dans l’effondrement des tours du World Trade Center.

S’il y a un plaidoyer négocié, le procès n’aura jamais lieu et la possibilité de contre-interroger Khalid Cheikh Mohammed va disparaître à jamais. Je pense qu’il sait beaucoup de choses et qu’il pourrait faire beaucoup de révélations.

Terry Strada, du regroupement 9/11 Families United

À l’instar des proches de 3000 autres victimes des attentats, Mme Strada a reçu récemment une lettre des autorités judiciaires américaines soulignant que l’aboutissement des pourparlers permettrait aux cinq hommes, dont Khalid Cheikh Mohammed, dépeint comme le responsable organisationnel des attentats pour Al-Qaïda, d’éviter la peine de mort.

« Ces hommes ne devraient pas être en position de négocier leur peine. Si les tribunaux militaires mis en place pour les juger à Guantánamo arrivent à la conclusion que la peine capitale est appropriée, je souhaite qu’elle soit appliquée », dit Mme Strada.

Méthodes questionnées

Les tribunaux en question ont été largement critiqués par les organisations de défense des droits de la personne, qui fustigent l’absence de balises garantissant un procès juste et équitable, notamment en ce qui a trait à la divulgation de la preuve.

Les témoignages obtenus des accusés depuis le début de leur détention par les forces américaines ont notamment soulevé de nombreuses contestations de la part des avocats de la défense.

Ils affirment que des aveux ont été obtenus sous la torture, notamment lors de leur période initiale de détention dans des prisons secrètes exploitées par la CIA.

Un rapport du Sénat américain a relevé notamment que Khalid Cheikh Mohammed avait été soumis plus de 180 fois à un simulacre de noyade, battu et contraint de subir à répétition une procédure de « réhydratation rectale » qui n’était aucunement justifiée sur le plan médical.

Les procureurs ont cherché à faire valoir que les témoignages obtenus après l’arrivée des détenus à Guantánamo par des agents du FBI qui n’utilisaient pas de méthodes coercitives devraient pouvoir servir, mais les juges se sont aussi montrés sceptiques à ce sujet.

Jurisprudence ?

La semaine dernière, un magistrat chargé du cas d’un autre détenu de Guantánamo, Abn al-Rahim al-Nashiri, accusé d’avoir orchestré l’attaque contre le navire USS Cole en 2000, a rendu une décision susceptible de faire jurisprudence.

Il a indiqué que les aveux obtenus par le FBI dans ce cas ne pouvaient être utilisés en justice parce qu’ils « dérivent » des actions de la CIA visant à casser toute résistance de la part du détenu et représentent en quelque sorte un « réflexe pavlovien » face aux questions soulevées.

Bien que la décision soit susceptible d’avoir une incidence importante dans les dossiers de Khalid Cheikh Mohammed et de ses présumés complices, elle n’explique pas la recherche par l’administration américaine de plaidoyers négociés, maintient Mme Strada.

« Les procureurs ont assuré aux familles qu’ils avaient assez de preuves, sans avoir à utiliser leurs témoignages, pour les faire condamner », note la militante, qui accuse le gouvernement de vouloir protéger l’Arabie saoudite en évitant la tenue de procès potentiellement embarrassants.

Mme Strada, qui fait partie d’une organisation regroupant des milliers de familles des victimes des attentats du 11 septembre 2001, réclame depuis des années plus de transparence de Washington pour pouvoir clarifier l’étendue de la responsabilité de la monarchie saoudienne dans l’organisation des attentats.

Bien que l’administration de Joe Biden ait fait publier des documents suggérant que certains officiels saoudiens ont soutenu les efforts d’Al-Qaïda, « beaucoup de questions demeurent sans réponse », relève Mme Strada.

« Les administrations successives ont toutes voulu protéger les Saoudiens plutôt que de faire toute la lumière sur les causes de la mort de milliers d’Américains. Joe Biden a fait bouger un peu les choses, mais c’était avant qu’il aille rencontrer le prince héritier Mohammed ben Salmane » pour se réconcilier avec lui, dit-elle.