Le supplice de Kevin McCarthy a pris fin après 4 jours, 15 scrutins et une multitude de concessions susceptibles de le vouer à l’impuissance.

Humilié depuis le début de la semaine par une série de votes infructueux pour le poste de président de la Chambre des représentants, l’élu républicain de Californie a fini par rallier à sa cause un nombre suffisant de frondeurs pour réaliser le rêve de sa carrière politique à l’issue d’un vendredi soir marqué par des rebondissements sans précédent.

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Lors d’un 14scrutin tenu après 22 h et un ajournement de plusieurs heures, Kevin McCarthy a vu l’élection lui échapper par un seul vote, celui d’un des chefs de la fronde, Matt Gaetz. Quelques heures plus tôt, il s’était dit certain d’avoir assez de voix pour succéder à Nancy Pelosi.

Au terme de ce scrutin, le visage figé dans une expression de colère, McCarthy s’est dirigé vers Gaetz pour l’inciter à changer son vote. Comme le représentant de Floride restait sur ses positions, la Chambre a entrepris peu après un vote pour ajourner l’élection jusqu’à lundi.

PHOTO ALEX BRANDON, ASSOCIATED PRESS

Le représentant républicain Matt Gaetz lors de son échange avec Kevin McCarthy (à droite)

Or, dans le même temps, Matt Gaetz a reçu l’appel de son mentor, Donald Trump, qui l’a convaincu de mettre fin à la rébellion. Lors du 15scrutin, le représentant de Floride a voté « présent », comme l’ont fait cinq autres frondeurs.

Et Kevin McCarthy a été élu par 216 voix contre 212 pour le représentant démocrate de New York Hakeem Jeffries.

« Je suis content que ça soit fini », a déclaré le nouveau président de la Chambre après le 15vote.

Mais son élection n’est peut-être que le début de son calvaire.

« Assumer le poste de président de la Chambre avec la culture actuelle du Parti républicain est presque un suicide politique », a commenté Mark Martinez, politologue à l’Université d’État de Californie à Bakersfield, cette ville agricole et pétrolière qui a vu naître Kevin McCarthy il y a 57 ans.

« Ces gens ne sont pas simplement des nihilistes ; ce sont des comédiens fous dans un théâtre kabuki », a-t-il ajouté en faisant référence aux rebelles républicains qui ont rendu la chambre basse du Congrès inopérante pendant plus de quatre jours, du jamais vu depuis la deuxième moitié du XIXsiècle.

Le jugement du professeur Martinez à l’égard des rebelles du groupe républicain n’est pas plus sévère que celui de certains alliés de Kevin McCarthy.

« Nous ne pouvons pas laisser les terroristes gagner », avait déclaré plus tôt cette semaine le représentant républicain du Texas Dan Crenshaw, un ex-Navy Seal qui a perdu un œil en Afghanistan.

Son collègue républicain du Nebraska Don Bacon, un autre ancien combattant, avait de son côté qualifié de « talibans » les républicains récalcitrants, dont le nombre s’est élevé à 20 après le deuxième scrutin.

Épée de Damoclès

C’est pourtant pour gagner ces mêmes représentants à sa cause que Kevin McCarthy a multiplié les concessions au cours des derniers jours. Concessions qui risquent de réduire à presque rien son pouvoir en tant que président de la Chambre et de renforcer l’influence des mêmes radicaux qui l’ont humilié.

« Il est clair qu’il a offert le soleil, la lune et les étoiles à chacun de ces individus », a déclaré Norm Ornstein, spécialiste du Congrès rattaché à l’American Enterprise Institute, groupe de réflexion conservateur basé à Washington. « Et je soupçonne qu’il a garanti à certains des récalcitrants qu’ils ne feront pas l’objet d’une enquête éthique sérieuse pour avoir tenté de renverser le gouvernement en 2020. »

Le hasard a voulu que la quatrième journée de l’élection du président de la Chambre tombe lors du deuxième anniversaire de l’assaut du Capitole des États-Unis par des partisans de Donald Trump.

Une des concessions accordées par Kevin McCarthy ramènera une règle qui a forcé à la démission John Boehner, l’avant-dernier président républicain de la Chambre. Cette règle permettra à un seul représentant de réclamer en tout temps la tenue d’un vote pour démettre de ses fonctions le président de la Chambre.

Autrement dit, Kevin McCarthy aura en permanence une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Les nombreux accrochages entre John Boehner et le Freedom Caucus de son époque pourraient constituer un présage de ce qui attendra Kevin McCarthy. En 2013, malgré l’opposition de Boehner, les représentants républicains les plus radicaux avaient précipité une paralysie de l’État américain qui avait duré 16 jours dans l’espoir vain de forcer Barack Obama à retarder d’une année l’entrée en vigueur de sa loi sur l’assurance-santé.

L’image des républicains de la Chambre avait souffert de cet affrontement qui avait coûté 24 milliards de dollars à l’économie américaine. Après sa démission, John Boehner avait qualifié l’approche des membres du Freedom Caucus de « terrorisme législatif ». Il avait aussi traité un des leaders du groupe, le représentant d’Ohio Jim Jordan, de « terroriste » et d’« abruti ».

Sous Kevin McCarthy, Jim Jordan présidera l’importante commission judiciaire de la Chambre. Il entend notamment enquêter sur le FBI et le ministère de la Justice.

Menace de paralysie

Une autre concession importante de Kevin McCarthy assurera au Freedom Caucus un plus grand nombre de sièges au sein de la commission des Règles de la Chambre. Comme son nom l’indique, cette commission dicte les règles selon lesquelles les projets de loi sont présentés à la Chambre.

« Nous aurons le président de la Chambre le plus faible de l’histoire moderne », a soutenu Norm Ornstein. Même sans les concessions de McCarthy, pourtant extrêmement importantes, les plus radicaux de ses membres auraient eu tous les pouvoirs en raison de l’étroitesse de la majorité républicaine. Et ils sont prêts à exercer ces pouvoirs. »

Nous allons avoir une Chambre chaotique et des menaces réelles de paralysie de l’État et de défaut de paiement.

Norm Ornstein, spécialiste du Congrès rattaché à l’American Enterprise Institute

La menace d’un défaut de paiement est liée au relèvement du plafond de la dette, qui sera nécessaire à une date encore indéterminée en 2023. Or, McCarthy a promis aux plus extrémistes de ses membres de conditionner le relèvement du plafond de la dette à d’importantes coupes dans les dépenses gouvernementales. S’il tient promesse, les démocrates ne manqueront pas de dénoncer un « chantage » susceptible de mener les États-Unis à un défaut de paiement, ce qui ne s’est jamais produit dans l’histoire du pays.

Un défaut de paiement pourrait provoquer une crise financière nationale et même internationale.

Sous pression des critiques du soutien des États-Unis à l’Ukraine, Kevin McCarthy s’est également dit favorable à une réduction des dépenses militaires de 75 milliards de dollars en 2023.

« Ce processus chaotique pour élire un président de la Chambre est sans précédent et dangereux », a dénoncé la représentante démocrate du Connecticut Rosa DeLauro. « J’espère vraiment que ces rumeurs de coupes dans des financements critiques sont fausses. Nous ne pouvons pas avoir un futur président de la Chambre qui échange des financements qui aident les communautés et protègent notre sécurité nationale pour un gain personnel. »