(Washington) Des mesures répressives prises par des villes américaines pour chasser les sans-abri peuvent-elles constituer un « châtiment cruel et inhabituel » inconstitutionnel ? Les neuf juges de la Cour suprême ont paru lundi partagés sur la question en fonction de leurs orientations politiques.  

La décision de la plus haute juridiction pourrait avoir d’importantes répercussions sur le sort des 653 000 sans-abri recensés en 2023 aux États-Unis.

Elle est saisie d’une décision d’appel qui a annulé des mesures prises par la ville de Grants Pass, dans l’Oregon (ouest) interdisant, au nom de la régulation du camping dans les lieux publics, aux sans-abri d’utiliser des couvertures, des oreillers ou des cartons pour se protéger du froid lorsqu’ils dorment dehors.

La cour d’appel s’est fondée sur sa propre jurisprudence considérant que le Huitième amendement de la Constitution prohibant tout « châtiment cruel et inhabituel » s’appliquait aux sanctions pénales contre les itinérants dormant à l’extérieur à moins qu’ils n’aient « accès à un abri temporaire ».

Les mesures prises par la ville « visent à rendre physiquement impossible aux itinérants de vivre à Grants Pass sans s’exposer à des amendes illimitées et à des séjours en prison », a plaidé leur avocate, Kelsi Corkran.

Ces mesures prévoient des amendes de plusieurs centaines de dollars en cas d’infraction, assorties d’un possible bannissement de l’espace public de la ville en cas de non-paiement, passible à son tour de prison et d’amendes encore plus lourdes.

« Tout ce que font ces mesures est de transformer le problème de mal-logement de la ville en problème de quelqu’un d’autre en chassant ses habitants sans-abri vers d’autres juridictions », a ajouté Kelsi Corkran lors des débats qui ont duré deux heures et demie.

Mais le président conservateur de la Cour, John Roberts, lui a objecté qu’il ne s’agissait pas nécessairement d’une criminalisation du « statut » de sans-abri puisque celui-ci pouvait cesser.

« Un certain nombre d’entre nous ont des difficultés avec la distinction entre statut et comportement », ce dernier étant susceptible de sanction pénale, a-t-il dit.

Sa collègue progressiste Elena Kagan a en revanche reproché à la municipalité de criminaliser une « nécessité biologique ».

« Vous pourriez dire que respirer est aussi un comportement, mais on n’accepterait pas de criminaliser le fait de respirer en public. Et pour une personne sans abri qui n’a nulle part où aller, dormir en public est comme respirer en public », a-t-elle remarqué à l’intention de l’avocate de Grants Pass, Theane Evangelis.

Les peines encourues « ne sont en rien des châtiments inhabituels », a assuré cette dernière au sujet des amendes et des séjours en prison, exhortant les neuf juges à « mettre fin à l’expérience ratée » de la cour d’appel, qui a « alimenté la propagation de campements » de sans-abri, selon elle.

Des règles similaires, sous la forme d’« interdictions de camper en public », ont été édictées à travers le pays à l’échelon local ou des États pour tenter de juguler l’explosion du nombre de SDF.

La décision de la Cour est attendue d’ici le 30 juin.