Les neuf juges de la Cour suprême des États-Unis ont affiché leurs divisions, lundi, lors d’audiences portant sur une loi texane contre l’avortement qui paralyse depuis deux mois les cliniques offrant ce type de service.

Les magistrats de l’aile progressiste, minoritaires au sein du plus haut tribunal du pays, ont ouvertement critiqué la loi en arguant qu’elle a déjà eu un effet catastrophique sur l’accès à l’avortement et risque de créer un précédent susceptible de mener à des attaques contre d’autres droits fondamentaux.

La juge Sonia Sotomayor a notamment fait valoir que des enjeux comme le contrôle des armes à feu, le mariage gai ou l’accès à la contraception pourraient être concernés à leur tour si l’approche mise de l’avant par les autorités texanes est ultimement validée. D’autres magistrats se sont plutôt inquiétés de la portée des demandes du gouvernement fédéral, qui réclame urgemment une injonction bloquant l’application de la loi, en relevant qu’elles reposent sur une « autorité illimitée et mal définie » susceptible de contrevenir à la répartition des pouvoirs existant entre le pouvoir central et les États.

Les magistrats avaient d’abord refusé il y a deux mois, dans une décision partagée, de se saisir d’une requête émanant d’un groupe d’organisations pro-choix opposées à la loi, permettant du même coup son entrée en vigueur.

La décision avait été vivement dénoncée par l’administration du président Joe Biden, qui a décrié l’initiative texane comme une attaque « clairement anticonstitutionnelle » contre le droit à l’avortement tel qu’il est défini dans l’arrêt historique Roe c. Wade de 1973. Le ministère de la Justice a alors introduit sa propre requête.

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Manifestante anti-avortement devant la Cour suprême

En octobre, un juge fédéral d’Austin a accordé une injonction temporaire bloquant l’application de la loi texane, mais la décision a été rapidement annulée par un tribunal d’appel avant que la Cour suprême n’annonce, en pleine controverse, son intention de se saisir du dossier.

Plusieurs poursuites possibles

La législation texane, qui empêche tout avortement passé six semaines de grossesse, prévoit que n’importe quel citoyen peut engager une poursuite civile contre les personnes qui contreviennent à cet interdit, ou aident à le faire, et obtenir une substantielle somme en cas de victoire.

L’avocat représentant les organisations pro-choix, Marc Hearron, a indiqué lundi, pour étayer son caractère abusif, que la loi prévoit que plusieurs poursuites sont possibles pour un seul dossier et que les requérants n’ont pas à démontrer de préjudice personnel pour pouvoir saisir les tribunaux.

Les organisations offrant des avortements sont appelées à être poursuivies en permanence.

Marc Hearron, avocat représentant les organisations pro-choix contestant la loi texane

Il reproche également aux autorités locales d’avoir chargé des civils plutôt que des représentants de l’État d’appliquer la loi pour compliquer toute éventuelle contestation judiciaire.

Le solliciteur général du Texas, Judd Stone, a déclaré devant la Cour suprême que ces mêmes organisations ne pouvaient lancer de procédures pour bloquer d’emblée la loi et devaient plutôt attendre qu’une première poursuite pour avortement illégal soit menée à terme, même si le processus risque de s’étirer sur une longue période.

Il a fustigé par ailleurs la demande d’injonction du gouvernement fédéral en relevant que rien dans la jurisprudence ne lui permettait d’intervenir « préventivement » dans le dossier pour tenter de torpiller l’initiative texane.

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Des manifestants pro-choix et anti-avortement s’étaient rassemblés devant la Cour suprême des États-Unis, lundi.

La solliciteure générale fédérale, Elizabeth Prelogar, récemment entrée en fonction, a déclaré que la loi texane représentait un « danger extraordinaire » pour la structure constitutionnelle existante et devait être contrée.

Si le Texas a raison, […] aucun droit constitutionnel n’est à l’abri.

Elizabeth Prelogar, solliciteure générale des États-Unis

Les travaux de la Cour suprême, qui a pris la cause en délibéré, ont été suivis de près lundi par défenseurs et opposants du droit à l’avortement.

Plusieurs États conservateurs ont déjà entrepris d’imiter la loi texane et pourraient imposer des restrictions similaires si le plus haut tribunal du pays leur en donne l’occasion.

Au Texas même, la population demeure divisée. Un récent sondage de l’Université de Houston indique que 69 % des personnes jugent la loi trop restrictive.

10 000 $

Somme, en dollars américains, qu’un citoyen lançant une poursuite civile pour dénoncer un avortement illégal au Texas peut obtenir en cas de victoire

Source : New York Times