(New York) Quinze sur 17. Mardi dernier, les autorités médicales du comté de Greene, dans l’État du Missouri, ont révélé qu’au moins 15 des 17 personnes mortes localement de la COVID-19 entre le 21 juin et le 4 juillet n’avaient pas été vaccinées contre cette maladie.

Deux jours plus tard, à Atlanta, la Dre Rochelle Wallensky, directrice des Centres pour le contrôle et la prévention des maladies, a donné une autre dimension au même phénomène : à la grandeur des États-Unis, 99,5 % des décès liés à la COVID-19 concernent des personnes qui n’ont pas été vaccinées.

Ces statistiques sont-elles susceptibles de convaincre les nombreux Américains réfractaires aux vaccins contre la COVID-19 de leur efficacité et, surtout, de leur nécessité ?

« Peut-être », a répondu à La Presse Jeff Huntsinger sur un ton qui ne laissait planer aucun doute sur son scepticisme.

Scepticisme découlant de ses études sur la philosophie des anti-vaccins.

« Le problème est que les sentiments ou attitudes anti-vaccin semblent être enracinés dans des intuitions morales », a expliqué le professeur de psychologie sociale à l’Université Loyola de Chicago. « Ces intuitions sont très difficiles à changer. Et elles ne sont pas susceptibles d’être changées par la connaissance, l’information ou l’éducation. Ce n’est pas vraiment ce qui est en jeu ici. »

C’est un sentiment instinctif sur lequel les gens s’appuient pour dire : “Non, je ne veux pas ça.”

Jeff Huntsinger, professeur de psychologie sociale à l’Université Loyola de Chicago

Les « intuitions morales » dont parle le professeur Huntsinger s’articulent autour de deux concepts : « pureté » et « liberté ». Certains anti-vaccins diront ainsi ne pas vouloir recevoir un vaccin encore au stade expérimental, de peur d’être contaminés d’une façon ou d’une autre. D’autres encore verront la vaccination comme un abus d’autorité de la part des responsables gouvernementaux ou médicaux.

À ces concepts, il faut ajouter un phénomène qui ne menace pas seulement la santé des Américains, mais également la survie même de leur démocratie : la polarisation politique.

« La tempête parfaite »

« C’est en quelque sorte la tempête parfaite », a lancé Jeff Huntsinger en évoquant des études selon lesquelles les républicains ou les conservateurs sont beaucoup plus sensibles que les démocrates ou les progressistes aux concepts de « pureté » et de « liberté » concernant les vaccins.

Dans un pays aussi politiquement polarisé que les États-Unis, cette différence alimente une « partisannerie négative » qui a contaminé tous les aspects de la lutte contre la pandémie de coronavirus, selon le professeur de l’Université Loyola.

L’un des meilleurs prédicteurs des taux de vaccination dans un État est le vote de l’État lors des dernières élections.

Jeff Huntsinger

De fait, à une exception près, tous les États qui ont voté pour le candidat démocrate lors des élections présidentielles de 2016 et 2020 ont atteint avant le 4 juillet l’objectif fixé par Joe Biden de 70 % de primo-vaccinés chez les adultes. La Pennsylvanie, qui a préféré Donald Trump à Hillary Clinton en 2016, est l’exception.

En revanche, exception faite du Nevada, tous les États qui ont voté pour Donald Trump en 2016 ou en 2020 présentent les taux de vaccination les moins élevés. Au Missouri, par exemple, 39,7 % de la population est pleinement vaccinée contre 61 % au Connecticut ou 48 % dans l’ensemble des États-Unis.

Dans les États tels le Missouri et l’Arkansas, entre autres, le faible taux de vaccination s’accompagne d’une recrudescence des cas de COVID-19, dus en majorité au variant Delta.

« Cette augmentation de cas commence à se traduire par des morts, malheureusement », a déclaré au Kansas City Star Aaron Schekorra, un des responsables sanitaires du comté de Greene, au Missouri. « Nous sommes en quelque sorte un indicateur précoce de ce qui va se passer dans les régions du pays où le taux de vaccination est faible. »

Et d’ajouter : « Beaucoup de gens parlent de la vaccination comme s’il s’agissait d’une décision personnelle, mais c’est une décision qui affecte absolument toute la communauté, et il faut donc que davantage de personnes se fassent vacciner. »

Allusions au nazisme

C’est dans ce contexte que Joe Biden a présenté la semaine dernière une nouvelle stratégie pour atteindre l’immunité collective, objectif qui semble de moins en moins réaliste aux États-Unis.

PHOTO SAUL LOEB, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Joe Biden, président des États-Unis

Nous devons maintenant aller dans chaque communauté, quartier par quartier, et souvent porte à porte – en frappant littéralement aux portes – pour apporter de l’aide aux personnes qui ne sont pas encore protégées.

Joe Bident, président des États-Unis, faisant allusion à une des mesures proposées

Le président ne décrivait pas un effort dirigé par le gouvernement fédéral et ses fonctionnaires. Il parlait d’une approche déjà adoptée par des groupes et bénévoles communautaires.

Mais des politiciens républicains n’ont pas tardé à agiter le spectre du totalitarisme. La représentante républicaine de Géorgie Marjorie Taylor Greene s’est opposée au déploiement de « chemises brunes médicales », une allusion au nazisme.

Sa collègue républicaine du Colorado Lauren Boebert a puisé au même répertoire en dénonçant les « Needle Nazis ».

« Quelle est la prochaine étape ? Cogner à votre porte pour voir si vous possédez une arme à feu ? », a tweeté de son côté le représentant républicain d’Ohio Jim Jordan.

Les animateurs de Fox News, dont la plupart ont vraisemblablement été vaccinés, n’ont pas été en reste. L’animatrice Laura Ingraham a notamment invité un docteur qui a proféré une fausseté dangereuse : « À moins d’avoir vraiment des arguments convaincants, aucune personne de moins de 30 ans ne devrait recevoir l’un de ces vaccins. »

Comment expliquer que ces animateurs puissent contribuer à une telle désinformation ?

« Je ne sais pas s’ils mènent la conversation ou s’ils sont menés par les gens qui les regardent et qu’ils essaient de satisfaire », a répondu Jeff Huntsinger, de l’Université Loyola.

« Tout cela m’attriste », a-t-il plus tard ajouté en parlant des divisions politiques de son pays face à une maladie qui a déjà tué plus de 600 000 Américains.