La Cour suprême des États-Unis a jugé mercredi «généralement» inconstitutionnelle la fouille inopinée d'un téléphone portable par les policiers, car elle empiéterait de manière excessive sur la vie privée.

«La haute Cour a donné un coup de jeune au Quatrième amendement de la Constitution, en l'adaptant à l'ère numérique», a aussitôt commenté l'Association nationale des avocats de justice pénale (NACDL).

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Les neuf juges qui, à l'audience, semblaient écartelés entre nécessité impérieuse de confondre un suspect et protection de la vie privée, ont tranché à l'unanimité en faveur de deux Américains, qui avaient pourtant été reconnus coupables d'infractions graves grâce à la saisie d'éléments compromettants sur leurs téléphones portables.

«Le fait que la technologie permette désormais à un individu de transporter ses informations avec lui ne les rend pas moins précieuses au regard de la protection de la vie privée voulue par nos pères fondateurs», peut-on lire dans la décision unanime. «Notre réponse est simple à la question de savoir ce que doit faire la police avant de fouiller un téléphone portable: obtenez un mandat».

Dans cette lecture moderne de la Constitution, la Cour suprême a estimé que la fouille de téléphones portables «met en jeu beaucoup plus d'intérêts pour la vie privée individuelle qu'une brève fouille corporelle».

«Les téléphones portables sont différents des autres objets qu'une personne arrêtée pourrait avoir sur elle. En particulier, les téléphones cellulaires modernes ont une capacité de stockage immense», écrit le président de la haute Cour, John Roberts, dans l'arrêt de 28 pages.

«Les téléphones portables peuvent stocker des millions de pages de texte, des milliers d'images et des centaines de vidéos». Et «la fouille peut s'étendre bien au-delà des papiers et effets à proximité immédiate de la personne arrêtée» avec la possibilité de consulter des données stockées sur un serveur à distance, s'inquiètent les juges.

L'affaire n'est pas anodine, quand plus de 90% des Américains possèdent un téléphone portable et douze millions d'arrestations ont lieu chaque année dans le pays, souvent pour un motif mineur.

«En reconnaissant que la révolution numérique a transformé nos attentes en matière de vie privée, la décision d'aujourd'hui en soi est révolutionnaire», a salué l'Union américaine de défense des droits civiques (ACLU).

Un danger pour personne 

Dans les deux affaires examinées fin avril, les neuf juges ont donné tort au gouvernement américain d'une part, et à la Californie (ouest) d'autre part, qui avaient argué du caractère d'urgence, car la sécurité de la police était en jeu et des éléments à charge auraient pu être effacés.

Le Quatrième amendement de la Constitution protège les Américains de toute «saisie et fouille injustifiées», autrement dit la police doit au préalable obtenir un mandat de la justice, sauf lorsque la vie d'un policier est en danger et qu'il faut agir vite.

«Les données d'un téléphone ne peuvent pas mettre en danger une personne», estiment les neuf sages, et «les forces de l'ordre disposent aujourd'hui de leurs propres technologies pour combattre la perte de preuves».

Pour l'Association internationale des chefs de police, cette décision «aura sans aucun doute un impact sur la capacité des forces de l'ordre à enquêter et à combattre le crime».

Steven Schwinn, expert de droit constitutionnel, voit au contraire peu de changement et estime qu'il suffit désormais que le policier mette le portable sous scellé et «obtienne un mandat pour le fouiller ultérieurement».

Dans la première affaire, David Riley, un étudiant californien, avait été arrêté en 2009 près de San Diego pour des plaques d'immatriculation non conformes. La fouille de son portable a permis de le lier aux activités d'un gang et il avait été condamné à 15 ans de réclusion. La Cour suprême a annulé cette peine et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de San Francisco.

Dans la deuxième affaire, Brima Wurie a été reconnu coupable de possession et distribution de cocaïne près de Boston (nord-est) grâce aux données trouvées en 2007 dans ses téléphones portables. Une partie de sa peine avait été effacée en appel, car issue d'une fouille inconstitutionnelle, ce qu'a confirmé la haute Cour.