(Wilmington) Dans la petite salle de la cour fédérale, le clan Biden se tenait bien serré derrière Hunter pour cette dernière journée de procès. Sa deuxième femme, Melissa Cohen Biden. Celle qu’il appelle « maman » et qui l’a élevé, la première dame Jill Biden. Son oncle Jim, petit frère du président, dont il est la version compacte à l’identique, et qui l’a traîné de clinique en clinique. Plus une bonne dizaine d’amis de la famille, généreux de leurs câlins pendant les pauses.

Le jury a levé l’ancre après une heure de délibérations, mais tout le monde s’attend à un verdict ce mardi dans cette affaire dont le retentissement est inversement proportionnel à la complexité.

Robert Hunter Biden a-t-il menti sciemment sur sa consommation et sa dépendance au crack, quand il a acheté un revolver Colt Cobra .38, le 12 octobre 2018, ici à Wilmington ?

C’est effectivement un crime fédéral de mentir dans le formulaire d’achat d’une arme sur le fait de consommer une drogue illégale. Sur le formulaire, Biden fils a répondu « non » à la question. Deux chefs d’accusation concernent cette fausse déclaration.

La troisième accusation concerne la possession d’une arme à feu – interdite à un toxicomane.

Ce procès « comme les autres » se déroule dans une ville où la gare porte le nom du père de l’accusé, hommage aux milliers d’allers-retours de l’ex-sénateur entre la capitale et sa résidence de Wilmington.

L’affaire « banale » tombe juste au moment où ce père tente de se faire réélire comme président des États-Unis – son portrait est affiché au palais, comme dans tous les édifices fédéraux. Et c’est un procureur indépendant qui a mené l’enquête et déposé les accusations. Ajoutons que l’accusé avait accepté de « régler » le dossier l’an dernier en plaidant coupable à cette affaire et une infraction fiscale, mais un juge a rejeté l’entente qui accordait l’immunité à Hunter Biden pour tout crime non découvert.

À part ces quelques détails, c’est un procès tout-ce-qu’il-y-a-de-plus-normal…

Les procureurs fédéraux nous ont répété hier que le procès n’est pas une affaire de stupéfiants. « La dépendance n’est peut-être pas un choix, mais mentir à ce sujet pour acheter une arme en est un », a répété lundi MLeo Wise pour l’État fédéral.

Sauf que les cinq jours et demi qu’a duré le procès ont porté presque entièrement sur le fond du baril de crack dans lequel s’est tenu Hunter Biden pendant quatre ans. Car pour prouver le mensonge dans le formulaire, il fallait prouver la toxicomanie.

Ce n’est tellement pas un secret que le fils du président a (presque) tout déballé de sa « vie de débauche » dans ses mémoires en 2021.

Quelle défense présenter, alors ?

Tout est dans le mot « sciemment », a avancé l’avocat Abbe Lowell, se tenant sur le fil de fer du doute pas toujours raisonnable pendant deux heures de plaidoirie.

PHOTO HAIYUN JIANG, THE NEW YORK TIMES

L’avocat de Hunter Biden, Abbe Lowell, lundi

Bien sûr, aujourd’hui, avec le recul, Hunter Biden « sait » qu’il était toxicomane. Il savait qu’il l’avait été en 2016, 2017 et même 2018. Mais en août, son oncle Jim l’avait rentré dans une clinique de désintox. Il n’y a pas de preuve formelle que le 12 octobre il était toxicomane, a dit l’avocat de la défense. Tandis qu’à d’autres périodes, c’est admis, et il y a de la preuve en masse : des photos de son équipement pour fumer du crack, des photos de lui en train d’en fumer, des textos, etc. Et puis, dire dans une réunion « je suis un toxicomane », ce n’est pas comme dans un formulaire, ce n’est pas une position juridique. Qu’est-ce qu’un toxicomane, au fait ? Le formulaire ne le définit pas !

À cela, les procureurs de l’État répliquent que la loi ne requiert nulle part que l’accusé soit gelé « le jour même » de l’achat. Ni même la semaine avant. Il faut qu’il soit conscient d’être dépendant à une drogue illégale.

Et il y a bel et bien de la preuve de la très rapide et énième rechute de Hunter tout de suite après cette cure d’août 2018, et son séjour avec un « coach de sobriété ». Son ex-copine, Zoe Kestan, dit l’avoir vu fumer du crack le 23 septembre – 19 jours avant l’achat du Colt. Il y a aussi ses propres textos à Hallie Biden, la veuve de son frère Beau, mort du cancer, avec qui il a eu une liaison. Il lui écrit en pleine nuit en octobre, dit qu’il n’est pas capable d’entrer dans la maison, qu’il est dans le parking d’un dépanneur. Et même qu’il dort « sur sa voiture en fumant du crack ». La veille de l’achat, il disait attendre un type nommé « Mookie ». C’était souvent au dépanneur (7/11) qu’il faisait ses transactions, comme il l’a dit souvent.

L’avocat et lobbyiste, qui a beaucoup rodé professionnellement en marge des affaires politiques, et donc de son père, n’a pas témoigné pour sa défense.

« Peut-être qu’il était au dépanneur pour prendre un café en attendant qu’elle se réveille, on n’a pas de preuve, c’est pure conjecture » a plaidé son avocat.

Ce n’était pas son meilleur moment…

Il y a aussi que Hunter Biden a retiré 151 000 $ comptant entre septembre et novembre 2018 de différents guichets automatiques.

« Qui nous dit que c’était pour de la drogue ? Peut-être que c’était pour sa désintoxication, peut-être pour louer sa maison à Malibu, ou toutes sortes d’autres dépenses », a encore avancé MLowell, toujours en équilibre sur son fil très mince.

Le problème de la défense est que plusieurs des paiements « réguliers » qui pourraient expliquer ces sorties d’argent se retrouvent dans ses comptes bancaires officiels.

« La question centrale, de dire le procureur Derek Heinz, c’est celle-ci : était-il toxicomane ? Le savait-il ? On ne serait pas ici s’il avait simplement continué à fumer du crack aux 15 minutes (comme il l’écrit dans son livre). Nous sommes ici parce qu’il a menti en achetant une arme à feu dangereuse dont les balles entrent en expansion quand elles touchent une cible. »

On ne devrait pas faire le lien entre les deux affaires, qui n’ont aucun rapport, mais il se trouve que le procès du fils Biden finit 10 jours après la condamnation de Donald Trump. Leur collision dans le calendrier politique force la comparaison, qu’on le veuille ou non.

Dans le cas de Trump, il semble qu’on doive le souligner même si c’est évident, il s’agit de ses propres agissements comme politicien, et non des frasques de son fils.

Notons que le dossier Biden à la Justice a été confié à un procureur indépendant, David Weiss, nommé sous l’administration Trump. À en juger par la vigueur des deux réquisitoires hier, on n’a pas l’air d’avoir fait de cadeau au fils du président dans ce procès. Le dossier devait pourtant être clos l’an dernier, et sans peine de prison. Il devra ensuite faire face à la justice pour une affaire fiscale de 400 000 $.

En entrevue en France la semaine dernière, le président a annoncé qu’il n’entend pas pardonner son fils.

Si Hunter a profité de ses contacts et de la valeur du nom Biden, jusqu’ici, on n’a pas la preuve d’une ingérence de Joe dans les dossiers de son fils, en affaires comme en justice.

Trump, lui, annonce une réforme du département de la Justice s’il est élu et parle d’autopardon (impossible dans le dossier de New York).

On verra maintenant si les verdicts se ressemblent…