Le parti de l'opposante birmane Aung San Suu Kyi a revendiqué lundi une victoire écrasante aux élections législatives de la veille, confirmée par les premiers résultats officiels ouvrant la voie à un changement historique.

À la chambre basse du parlement, la plus importante avec 323 sièges, les premiers résultats portant sur 28 sièges indiquaient que la Ligue nationale pour la démocratie (LND) en avait remporté 25, contre deux pour le parti au pouvoir, l'USDP.

La commission électorale s'est lancée dans un long égrenage des résultats qui pourrait durer jusqu'à mardi soir ou plus.

Précédemment, elle avait annoncé que la LDN avait remporté 35 des 36 premiers sièges de députés, incluant alors pêle-mêle chambres haute et basse du parlement national, et assemblées régionales, les législatives ayant porté sur ces trois instances.

Devant le siège de la LND à Rangoun, une foule de sympathisants, qui avaient revêtu des t-shirts rouges affirmant «Nous devons gagner» ou «Voter pour le changement», manifestaient leur joie dès qu'un résultat était affiché sur un écran géant.

«Nous attendons ces résultats depuis des années», s'enthousiasme Thuzar, 42 ans, propriétaire d'une boutique de téléphonie mobile, après avoir acheté un t-shirt à l'effigie de «mère Suu», comme la surnomment affectueusement de nombreux Birmans.

«Je pense que le peuple a déjà une idée des résultats même si je ne dis rien», avait déclaré Aung San Suu Kyi dans la matinée lors d'une brève apparition au balcon des locaux de son parti, recouvert d'une immense affiche rouge la représentant sous la figure tutélaire de son père, le général Aung San, architecte de l'indépendance de l'ancienne colonie britannique, assassiné alors que Suu Kyi était enfant.

Arrivée aux marches du pouvoir après des décennies de dissidence (dont plus de 15 ans en résidence surveillée), la «Dame» d'aujourd'hui 70 ans se montre prudente. Les premières circonscriptions tombées se trouvent en effet dans les régions de Rangoun et Mandalay, la deuxième ville du pays, traditionnellement pro-LND.

PHOTO JORGE SILVA, REUTERS

La plupart des 30 millions de Birmans appelés à s'exprimer ce dimanche n'avaient jamais voté de leur vie. Sur la photo, Aung San Suu Kyi.

Poids lourds balayés

Le parti au pouvoir, créé par d'ex-généraux pour assurer la transition, a reconnu de premiers revers: le président de la chambre basse du Parlement, Shwe Mann, s'est incliné face au candidat de la LND dans la région de Phyuu, dans le centre du pays. Le président du parti, Htay Oo, et plusieurs poids lourds du parti se sont fait balayer.

La LND affirme avoir remporté au niveau national plus de 70 % des sièges, un chiffre impossible à confirmer de source indépendante.

Ce score permettrait à Aung San Suu Kyi d'avoir une majorité absolue malgré la présence d'un quart de députés militaires, non favorables à la LND.

Après des décennies de junte militaire, puis de domination de ses héritiers depuis les réformes lancées en 2011, cela représenterait une révolution complète et inédite pour la scène politique birmane.

Aung San Suu Kyi, que ses longues années de résidence surveillée ont empêchée de voir grandir ses enfants, restés en Angleterre, incarne les espoirs démocratiques de son pays depuis 30 ans.

Si les ex-généraux s'affichent comme des réformateurs et promettent de respecter le verdict des urnes, les signes de crispation se sont multipliés, avec en amont du vote des arrestations de dirigeants étudiants, des centaines de milliers de musulmans privés de droit de vote, un vote anticipé obscur et le scrutin annulé dans des régions en proie à des conflits armés ethniques.

Le scrutin de dimanche en lui-même s'est globalement bien déroulé et quelque 80 % des plus de 30 millions d'électeurs se sont rendus aux urnes.

Enjeu présidentiel

Le plus important groupe d'observateurs locaux indépendants, PACE, a salué lundi un vote globalement positif, «sans incidents significatifs», malgré des doutes sur le vote anticipé et des erreurs sur les listes.

Washington s'est montré prudent, disant attendre les résultats officiels. La Maison-Blanche a exhorté «tous les dirigeants politiques à collaborer pour former un nouveau gouvernement et (...) à assurer la poursuite de la réconciliation nationale». A Paris, le président François Hollande a appelé dans un communiqué au respect «par toutes les parties» de la «volonté populaire qui s'est exprimée avec clarté».

Le principal élément de comparaison reste les législatives de 1990, dernières élections nationales libres, remportées très largement par la LND. La junte n'avait finalement pas reconnu le vote, auquel Suu Kyi n'avait pu prendre part elle-même, étant alors en résidence surveillée.

Mais 25 ans plus tard, la situation a changé, affirment les héritiers de la junte, promettant de ne pas piper les dés cette fois-ci.

L'enjeu derrière les législatives est l'élection par le Parlement du chef de l'État début 2016.

Si la LND obtient la majorité au sein des deux chambres, elle pourra décider qui sera le prochain président. Aung San Suu Kyi sait d'ores et déjà qu'elle ne peut occuper cette fonction, la Constitution interdisant l'accès à quiconque a des enfants de nationalité étrangère.

Mais elle a déjà prévenu les tenants du système, encore largement contrôlé par d'anciens militaires malgré les réformes menées depuis quatre ans, qu'elle serait «au-dessus du président».

PHOTO GEMUNU AMARASINGHE, AP

Des partisans d'Aung San Suu Kyi célèbrent à Rangoun, le 9 novembre.