Le contraste ne pourrait être plus évident. La campagne présidentielle américaine a vu les deux partis s'entre-déchirer sur la place publique pendant une année complète. De l'autre côté du Pacifique, aucun média, aucun blogue ou compte Weibo - l'équivalent de Twitter - n'a mentionné la transition du cabinet chinois qui s'amorçait hier. Pourtant, le nouveau président chinois et ses ministres tiendront les rênes de la deuxième économie de la planète, avec son milliard d'habitants.

Tenu depuis hier dans la ville balnéaire de Beidahe, le XVIIIe congrès du Parti communiste chinois (PCC) se terminera vers la fin de la semaine prochaine par la présentation des nouveaux membres du «Bureau permanent du bureau politique du comité permanent du PCC», sept à neuf personnes qui dirigeront l'Empire du milieu. En mars prochain, au Congrès national du peuple, l'un des membres du comité permanent, Xi Jinping devrait officiellement être élu président.

«Xi Jinping est le premier président qui n'a pas l'appui du président sortant», explique Roderick MacFarquhar, un politologue de l'Université Harvard qui a publié une douzaine de livres sur la Chine depuis un demi-siècle. «Il a dû composer avec différents groupes d'intérêts. Sa légitimité est donc contestable. Cela rend d'autant plus important d'imposer une censure qui cache les divisions du PCC.»

Par rapport à 2002, la transition actuelle a quand même été plus ouverte, selon William Callahan, politologue aux universités de Manchester et de Singapour. «Les blogueurs comme Han Han, le plus lu au monde, parlent couramment des problèmes de la classe moyenne, de l'accès au crédit et à l'éducation, du coût de la vie alors que les intellectuels publics débattent dans les revues académiques de la place de la Chine dans le monde, dit M. Callahan. Ils ne parlent pas directement des candidats, mais évoquent les mêmes questions qui ont été discutés au sein du Politburo du PCC.»

M. Callahan n'est pas optimiste sur une évolution subséquente du débat. «Quand Bloomberg et le New York Times ont décrit l'enrichissement fabuleux des familles des dirigeants chinois, leurs sites ont été bloqués en Chine. Je crains fort que les médias occidentaux finissent par céder à ce chantage, comme Hollywood, qui a accepté de ne plus faire des films décrivant négativement la Chine, en échange de l'accès à ce marché convoité.»

Malgré le silence radio, les sinologues ont pu se faire une idée de la composition du prochain Politburo (organe suprême du PCC). «Deux règles non écrites ont toujours été respectées», explique Scott Kennedy, un politologue de l'Université de l'Indiana qui vient de publier Beyond the Middle Kingdom. «Seuls les 25 membres actuels du Politburo peuvent accéder au bureau permanent. Et personne de plus de 68 ans ne peut y être nommé. Ça limite l'incertitude à deux noms sur sept ou neuf. Mais il est certain que les négociations continuent jusqu'à la dernière minute. En 2002, un changement important a été fait deux semaines avant la présentation du nouveau bureau politique.»

Une chose est sûre, le nombre de membres du bureau permanent n'augmentera pas. «À mon avis, il baissera même de neuf à sept, comme avant 2002», explique Daniel Bell, un philosophe politique d'origine montréalaise qui enseigne à l'Université Tsinghua à Pékin. «La Chine a besoin de réformes importantes pour limiter la corruption et le pouvoir des groupes d'intérêts. Comme les décisions sont prises par consensus, il est plus facile d'y arriver quand on est moins nombreux.»