Que la vérité éclate est un phénomène de société en Inde. Cette émission télévisée déchaîne les passions dans la presse et sur l'internet en s'attaquant aux tabous de la société indienne. Ses auteurs espèrent faire évoluer les mentalités.

L'épisode démarre sur une mélodie entraînante: «Satyamev jayate, satyamev jayate», scande le refrain. Traduisez: «Que la vérité éclate». Aamir Khan, présentateur, déboule sur le plateau. Cheveux noirs courts, tout en muscle, c'est une vedette de cinéma. «Bonjour à tous. Que la vérité éclate!», lance-t-il avant d'enchaîner sur la condition des femmes en Inde. Ici, les discriminations envers les filles commencent avant la naissance. Assurer la continuité du nom, éviter de payer une dot... beaucoup de familles préfèrent avoir un garçon. Les conséquences sont dramatiques: selon la revue scientifique The Lancet, de 3 à 6 millions de foetus féminins ont été avortés entre 2000 et 2010.

«Nous avons besoin de mères pour assurer la survie de l'humanité, plaide l'acteur. Mais comment les traitons-nous?» Mal si l'on en croit le premier témoin. Mariée en 2000, Amisha tombe enceinte un an plus tard. Sa belle-famille l'emmène chez le gynécologue pour un examen de routine. Une fois sur place, on lui fait une injection. Elle s'évanouit. Au réveil, son foetus n'est plus. «Ma belle-famille voulait un fils et rien d'autre», confie-t-elle, la voix étranglée par l'émotion. «Vous avez subi ça combien de fois?», s'enquiert l'acteur. Silence de quelques secondes. «Six fois en huit ans.» Stupeur et larmes dans le public.

Un garçon à tout prix

L'histoire d'Amisha n'est pas la pire. Parveen, femme frêle d'une trentaine d'années, a le nez déformé. Son mari la bat parce qu'elle n'arrive pas à avoir un garçon. Un dimanche matin, pendant qu'elle dort toujours, il la plaque sur le lit et lui mord le visage. Parveen est défigurée. Les photos de son nez déchiqueté défilent à l'écran, entrecoupées de gros plans du public, toujours en pleurs.

«On joue beaucoup sur l'émotion, explique Satyajit Bhatkal, directeur d'Aamir Khan Productions, la société qui réalise l'émission. Nous traitons de problèmes qui concernent tout le monde chez nous. On appuie le propos avec des reportages et des avis d'experts.» Le tout donne un cocktail de larmes et de réflexion servi par un comédien vénéré ici. «Quand Aamir Khan parle, toute l'Inde écoute», observe Satyajit Bhatkal. Révélateur de l'influence des célébrités dans le pays, en particulier les acteurs et les joueurs de cricket.

Diffusé chaque dimanche matin à 11 h depuis le 6 mai, Que la vérité éclate a attiré plus de 1,2 million de clics sur YouTube et 400 millions de téléspectateurs en un mois, un Indien sur trois. Chaque épisode s'attaque à des tabous : dots exorbitantes, crimes d'honneur... L'émission a récolté 31,5 millions de roupies de dons (580 000 $) reversés à des organisations non gouvernementales.

La presse indienne en fait ses choux gras. Racoleuse pour les uns, fantastique pour les autres, la formule ne laisse personne indifférent, y compris le gouvernement. Dans le quatrième épisode, il est question des médecins ripoux. Des témoins racontent comment on a surfacturé leur traitement. Une arnaque qui ruine les plus démunis. Quelques jours plus tard, les États du Karnataka et du Maharashtra, dans le sud et l'ouest du pays, ont promis d'ouvrir des pharmacies publiques pour faciliter la vente de médicaments génériques. Il reste à savoir si les autorités tiendront parole.

«On n'amènera pas une révolution, tempère Satyajit Bhatkal. Mais on veut faire évoluer les mentalités.»