Feng Xiaoguang fêtera ses 20 ans le 4 juin prochain, jour du vingtième anniversaire de la répression du mouvement démocratique sur la place Tiananmen. Le jeune homme est l'un des 200 millions de jeunes Chinois de la génération «post-1980», passionnée d'Internet, de mode, ouverte sur le monde... mais aussi largement apolitique et qui connaît peu de choses du printemps de Pékin.

Comme beaucoup de jeunes Chinois de son âge, Feng Xiaoguang s'habille à la mode occidentale, utilise Internet, possède un téléphone portable et ne se soucie pas vraiment de la situation politique de son pays. Quant à Tiananmen, c'est loin. «Mes parents m'ont dit qu'il y avait eu un incident sur la place Tiananmen le jour de mon anniversaire, mais je ne connais pas les détails», admet-il. «Est-ce que cela avait à voir avec le conflit entre capitalisme et socialisme?»

Difficile pour lui d'en savoir plus, tant le sujet est tabou en Chine. Les événements du printemps 1989 sont aujourd'hui qualifiés d'émeutes contre-révolutionnaires et rarement évoquées en public. Les manuels scolaires ne font que les effleurer, quand ils en parlent.

De fait, peu de jeunes Chinois ont aujourd'hui une idée claire du mouvement qui a conduit, il y a vingt ans, plusieurs millions d'étudiants, d'ouvriers et de citoyens ordinaires à se rassembler pacifiquement à Pékin et d'autres villes du pays pour demander des réformes démocratiques. Ils ne savent pas non plus comment les autorités communistes ont réprimé le mouvement par la violence, faisant plusieurs centaines de morts.

Les dirigeants chinois arguent aujourd'hui que la forte croissance économique et la stabilité politique jamais démenties depuis le début des années 1990 justifient à elles-seules l'étouffement de la rébellion. Le niveau de confort des jeunes Chinois n'a en effet jamais été aussi élevé, avec des revenus annuels par tête d'environ 19.000 yuans (2.760 dollars) en 2007, contre seulement 380 yuans (55 dollars) en 1978.

Revers de la médaille, ils n'ont plus de vrai rôle dans la construction de l'avenir de leur pays et ne semblent pas vraiment pressés de s'en mêler. Selon un sondage réalisé ce mois-ci sur Internet par le quotidien «La Tribune du Peuple», auprès de 12.018 étudiants, 75% d'entre eux espèrent rejoindre le parti communiste, mais, à 56%, pour «augmenter leurs chances de trouver un bon travail». Les autres veulent intégrer l'unique parti pour des questions de fierté personnelle (29%), tandis que 15% disent avoir foi dans le communisme.

À l'inverse, la génération qui a manifesté à Tiananmen avait grandi dans un contexte politique très marqué et vécu des mouvements de masse, certains tristement célèbres comme la Révolution culturelle, qui avait pris fin en 1976. Mais la répression de 1989 a mis en grande partie fin au débat public et rares sont aujourd'hui les Chinois à se risquer à une discussion politique, même en cachette.

Dans ce contexte, difficile de dire si la jeunesse chinoise est superficielle ou seulement désireuse d'éviter les ennuis en confiant ses états d'âme politiques à des journalistes étrangers. «Les jeunes comme nous s'intéressent peut-être plus aux divertissements populaires tels que les feuilletons coréens», explique Li Yan, né en 1989, étudiant en arts qui se fait appeler Lucifer.

Les vétérans de Tiananmen, eux, y voient de l'apathie.

«Tous ces idéaux magnifiques ont été remplacés par la recherche pratique d'un confort égocentrique», juge Bao Tong, ancien secrétaire de Zhao Ziyang, le dirigeant communiste déchu pour cause de sympathie avec les manifestants de 1989. «Les dirigeants d'aujourd'hui ne veulent pas que les jeunes pensent».

Selon Bao Tong, 76 ans, la génération «post-1980» se contente de son confort matériel et poursuivra sur cette voie si l'économie du pays reste forte et que le gouvernement distribue les richesses de manière plus équitable.

Pour d'autres, enfin, l'optimisme forcené de l'époque Tiananmen est la raison même du manque d'idéaux des jeunes d'aujourd'hui. La candeur de 1989 a agi comme une mise en garde, plutôt qu'une source d'inspiration.

Il en va ainsi de Sun Yi, 22 ans, qui suit des études d'ingénieur à Sydney, en Australie. Son père, dissident en 1989, a été emprisonné l'année suivante pour avoir ouvertement critiqué la répression dans un magazine clandestin. Si elle admire son père, Sun Yi se demande aujourd'hui si ses sacrifices -sept ans de prison et un mariage fichu- en valaient la peine.

«C'était vraiment un acte héroïque, mais je pense quand même qu'il abandonné beaucoup de choses, trop de choses», confie-t-elle. «Sa voix a été entendue par certains, mais pas par beaucoup, étant donné la population de la Chine. Est-ce que cela en valait la peine?».