(Shambhu) Installés à bord de leurs tracteurs, des agriculteurs indiens qui veulent manifester attendent jeudi des ordres de leurs syndicats pour avancer vers New Delhi et jurent de rester plus longtemps que les policiers qui les bloquent.

« On est là pour longtemps », déclare Mela Singh, 70 ans, l’un des milliers d’agriculteurs qui campent sur l’autoroute devant les barrages policiers, à quelque 200 km au nord de la capitale indienne.

« Un mois, six mois, un an, ce n’est pas grave, nous nous en irons seulement après avoir gagné », ajoute cet homme venu du district de Mansa, dans l’État septentrional du Pendjab.

Des cuisines communautaires et des installations médicales de fortune ont surgi. Des agriculteurs ronflent sous des bâches tendues au-dessus de la remorque de leur tracteur.

Ils ont lancé cette semaine un « Delhi Chalo » (une marche sur Delhi), évoquant leur manifestation du 26 janvier 2021 lorsque les agriculteurs avaient forcé les barrages policiers pour entrer dans la capitale, en pleine célébration du Jour de la République, durant un conflit de plusieurs mois avec le gouvernement.

Ils protestaient alors contre une libéralisation des marchés agricoles. Aujourd’hui, la question clef est l’obtention d’une loi pour un prix minimum de leurs récoltes, ainsi qu’un abandon de leurs créances.

Les manifestations surviennent avant des élections nationales attendues pour avril. Cette fois, leurs centaines de tracteurs ont été stoppées par les blocs de béton et les fils de fer barbelés de la police qui lance des gaz lacrymogènes dès que les agriculteurs s’approchent trop près.

Au fur et à mesure que s’allonge l’attente, l’énergie du départ, avec des slogans scandés sans cesse ou des cerfs-volants lancés pour éloigner les drones policiers jetant du gaz lacrymogène, cède du terrain à l’indolence. Mais les agriculteurs ne sont pas pressés de rentrer chez eux.

« Le combat de tous »

Kamaljit Singh, 35 ans, s’assure que chacun a une tasse de son thé au lait très sucré. « Nous avons cent litres de lait », donnés par son village pour soutenir les manifestants, explique ce paysan du district de Patiala dans le Pendjab. « Et 200 autres litres sont en chemin. Nous en avons assez pour tout le monde ».

Ce lait symbolise l’union de tous pour manifester, insiste-t-il. « Chacun dans le village a contribué. C’est le combat de tous ».

En Inde, deux tiers de la population de 1,4 milliard de personnes dépend pour vivre de l’agriculture qui représente près du cinquième du PIB du pays, selon des chiffres officiels.

Les villages alentour prennent soin de la nourriture des manifestants et s’inspirent de la tradition sikhe des « langar » (cuisines communautaires) coordonnées par les « gurdwaras » (lieux de culte sikhs).

« Dans chaque village du voisinage, les gurdwaras ont installé des cuisines communautaires où la nourriture est préparée jour et nuit pour les agriculteurs », raconte Sukhpal Singh, 63 ans, venu également du district de Patiala.

Makhan Singh, cultivateur de céréales âgé de 60 ans, prend un « roti » (pain sans levain) pour attraper son petit déjeuner, du curry et des piments marinés donnés par un village proche.

L’odeur de curry frais s’envole jusque vers les lignes de policiers. Armés de matraques, ils observent le campement depuis les barrages.

« Dans notre village, les femmes se sont réveillées à trois heures du matin pour préparer la nourriture », dit Mukhiya Singh, 32 ans, qui propose du curry de tomates et pommes de terre.

L’usage par les policiers de canons à eau et de grenades lacrymogènes a incité Mandeep Singh, un médecin du district d’Hoshiarpur (Pendjab), à proposer ses services avec un hôpital de fortune.

« Le gaz lacrymogène provoque des troubles respiratoires », observe-t-il. Son stock d’antihistaminiques est déjà à sec.

Pour l’heure, les agriculteurs attendent le résultat des pourparlers entre les dirigeants syndicaux et les autorités à New Delhi. « Ce qui va se passer après dépendra de la réunion », note Mela Singh.