Autrefois un havre de liberté aux portes de la Chine, Hong Kong subit depuis 2020 une violente répression de la part de Pékin. Le verdict du procès de 47 militants prodémocratie, attendu pour la fin de l’été, devrait confirmer la tendance. Pour les quelques militants toujours en liberté, le choix se résume désormais à une lutte clandestine ou à l’exil.

Des manifestants menacés d’extinction

PHOTO THÉOPHILE SIMON, COLLABORATION SPÉCIALE

L’opposante politique Chan Poying dans les locaux de son parti, à Hong Kong

Depuis deux ans, la vie de Chan Poying, 67 ans, se résume à un verbe : attendre.

Attendre d’être relâchée par la police, alors qu’elle a été brièvement détenue en marge d’une manifestation en souvenir du massacre de la place Tiananmen, le 4 juin dernier. Attendre une réponse des banques, qui clôturent l’une après l’autre les comptes de la Ligue des sociaux-démocrates, son parti politique. Mais surtout, attendre des nouvelles de son mari, Leung Kwok-hung, emprisonné par les autorités hongkongaises depuis bientôt 18 mois. L’homme est une figure de l’opposition locale. Infatigable militant de l’instauration du suffrage universel direct à Hong Kong, pilier de la « révolution des parapluies » de 2014, il a été arrêté en janvier 2021 en même temps que 46 autres militants démocrates.

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Accusé d’avoir participé à une commémoration non autorisée du massacre de la place Tiananmen, Leung Kwok-hung arrive au palais de justice de West Kowloon, à Hong Kong, le 15 septembre 2020.

Leur crime : avoir participé, quelques mois plus tôt, à la primaire du camp prodémocratie en vue des élections législatives. Leur procès s’est ouvert en février, et les verdicts devraient être rendus d’ici à la fin de l’été. Celui de Leung Kwok-hung pourrait être particulièrement sévère, car comme 16 autres de ses codétenus, il a refusé de plaider coupable. Ils encourent jusqu’à 10 ans de prison chacun.

C’est très dur. Toutes les avancées démocratiques pour lesquelles nous nous sommes battus pendant des décennies sont en train de s’effondrer. Certains militants risquent de finir leur vie en prison et ceux qui restent en liberté sont devenus de véritables parias.

Chan Poying, opposante politique

C’est dans la pénombre d’un hangar lui servant depuis peu de bureau que Chan Poying rencontre La Presse. Il y a quelques semaines, le propriétaire des anciens locaux du parti l’a expulsée sans ménagement.

Soumission

Trois ans après avoir fait descendre près de 2 millions de manifestants dans les rues, les démocrates de Hong Kong sont menacés d’extinction. Le Parti communiste chinois a accéléré l’assimilation de la ville au reste du pays au moyen d’une loi de sécurité nationale imposée à l’été 2020. Le texte, dont les mesures aussi floues que liberticides ont été dénoncées par l’ONU, a permis de réaliser un impressionnant coup de balai : une centaine d’opposants emprisonnés ou menacés de l’être, partis politiques étouffés, syndicats muselés et ONG étrangères mises à la porte. La Perle de l’Orient, rétrocédée à la Chine par les Britanniques en 1997, devait pouvoir conserver son propre système politique pendant un demi-siècle.

PHOTO THÉOPHILE SIMON, COLLABORATION SPÉCIALE

Les drapeaux chinois et hongkongais flottent à l’entrée d’un parc de Kowloon, quartier populaire de Hong Kong.

Elle aura été soumise avec une génération d’avance.

« Nos libertés d’expression et d’association sont entièrement parties en fumée, confirme, sous couvert d’anonymat, le président d’un grand parti d’opposition hongkongais. Nous n’osons même plus nous coordonner avec les autres partis alliés, au risque d’être accusés de subversion. Notre seul but est maintenant de comprendre où se trouve la ligne rouge afin d’échapper à la répression. »

Comme les partis politiques, les médias ont constitué une cible prioritaire de la répression. Les deux principaux journaux prodémocratie de Hong Kong, Apple Daily et Stand News, ont été fermés en 2021.

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Le magnat de la presse Jimmy Lai est détenu à Hong Kong depuis 2020.

Le magnat Jimmy Lai, fondateur d’Apple Daily, a été condamné en décembre à près de cinq ans de prison. Treize journalistes sont aujourd’hui derrière les barreaux.

Dangereux horaires de bus

Les plus bas échelons du pouvoir n’ont pas été épargnés. Dans les universités, les organisations étudiantes suspectées d’être hostiles à Pékin ont été systématiquement dissoutes. Dans les quartiers, les « conseils de district », chargés des horaires de bus ou de la collecte des poubelles, viennent d’être mis au pas. Selon une décision de l’exécutif hongkongais rendue publique le 2 mai, seuls 20 % des sièges seront désormais mis au vote populaire, contre 90 % précédemment. L’écrasante majorité des conseillers seront à l’avenir directement nommés par le pouvoir central. Les autorités pourront par ailleurs disqualifier tout candidat jugé « antipatriotique ». Le Conseil législatif, principal organe de pouvoir de la ville, avait déjà connu un sort similaire en 2021.

« Jamais nous n’avions imaginé que cette loi de sécurité irait si loin », explique Debbie Chan, 32 ans, élue au conseil de district du quartier de Sai Kung en 2019.

« Puis en 2022, les élus de quartiers ont commencé à recevoir des courriels de menaces et il devient de plus en plus difficile de se faire rembourser ses frais de mandat. Comme beaucoup de mes collègues, j’ai finalement décidé de démissionner. » Le regard pétillant derrière d’énormes lunettes rondes, la jeune femme fait visiter le petit magasin qu’elle a récemment ouvert. On y trouve de petits bijoux, des œuvres d’art, des vêtements et de la poterie. Tous les articles ont été produits à la main par des Hongkongais du même bord politique.

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Debbie Chan, 32 ans, ancienne élue au conseil de district Sai Kung, dans sa petite boutique

Désormais, la seule manière de résister est ce qu’on appelle ‟l’économie jaune”, de la couleur du soulèvement de 2019, c’est une sorte d’économie circulaire visant à soutenir les artisans et les commerçants qui veulent encore croire à un avenir démocratique.

Debbie Chan, 32 ans, ancienne élue au conseil de district Sai Kung

Réfugiés dans les livres

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Sum Wan, ancien journaliste de Stand News aujourd’hui reconverti en libraire

La vocation de libraire, en particulier, a le vent en poupe. « Hong Kong n’a jamais connu autant de librairies libérales. Elles constituent l’un des derniers espaces de liberté et permettent de maintenir un lien physique entre nous », explique Sum Wan, ancien journaliste de Stand News ayant ouvert une petite libraire entre deux gratte-ciel du quartier de Kowloon. Sur les étagères, des livres retracent l’histoire de Hong Kong, racontent la révolte de 2019 et font l’éloge de la démocratie.

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Wayne Mak, 27 ans, ancien publicitaire reconverti en libraire à Kowloon, à Hong Kong

« La loi de sécurité nationale est formulée en termes si généraux que le moindre de ces livres peut me valoir d’être arrêté », anticipe Wayne Mak, 27 ans, un autre libraire en herbe installé non loin de là. « Mais je n’ai pas peur. Que la police vienne. »

L’homme risque fort d’être pris au mot. Vingt-quatre heures plus tard, six personnes, dont un pasteur, sont interpellées par la police sur le stand d’une foire aux livres, coupables, selon les autorités, d’avoir « produit et vendu un livre appelant à l’indépendance de Hong Kong ».

Verra-t-on bientôt des autodafés en plein cœur de l’une des plaques tournantes du commerce mondial ? Tiger, journaliste dissident chinois installé à Hong Kong depuis une vingtaine d’années, s’inquiète en tout cas des conséquences de la répression sur la capacité des opposants chinois à s’organiser. « Pendant des décennies, cette ville fut la base arrière des démocrates chinois. On y relayait des œuvres interdites sur le continent. Les militants des droits de l’homme y travaillaient dans une relative sérénité. Cette époque est révolue, lâche-t-il avant de décoller vers le Japon, où il tentera de reconstruire sa vie. »

Poussés à l’exil

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Taipei, capitale taïwanaise. Près de 30 000 Hongkongais ont trouvé refuge à Taïwan depuis le début de la répression.

Quelque 200 000 Hongkongais ont fui depuis l’instauration de la loi de sécurité nationale, principalement vers le Royaume-Uni, mais aussi le Canada, un autre refuge de choix.

Le nombre de visas de long séjour accordés par Ottawa à des Hongkongais a plus que doublé entre 2020 et 2021, passant d’environ 1500 titres de résidence permanente à plus de 3000. Les nombres de permis d’études et de résidence temporaire ont connu une tendance similaire. Quelque 30 000 Hongkongais se sont par ailleurs établis dans l’île de Taïwan, distante d’à peine une heure de vol de Hong Kong.

C’est le cas de Terrence Law, étudiant de 23 ans. Lorsque son syndicat étudiant a été dissous par les autorités, en 2021, il a choisi de continuer à militer avec un groupe d’amis. « Nous pensions que résister à la marge était encore possible et avons donc amassé des fonds pour venir en aide à des militants poursuivis en justice », raconte-t-il d’un café de Taipei, capitale taïwanaise.

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Le syndicaliste étudiant Terrence Law, 23 ans, désormais exilé à Taïwan

Un matin de juillet 2022, trois policiers ont frappé à ma porte, aux aurores. Ils m’ont donné une semaine pour leur livrer la liste de mes camarades et de mes donateurs. J’ai immédiatement choisi de fuir.

Terrence Law, syndicaliste étudiant de 23 ans exilé à Taïwan

En 10 jours, le jeune militant a liquidé tout ce qu’il possédait et acheté un aller simple pour Taipei. « Au moment de passer la frontière, à l’aéroport, j’étais terrifié. Je pensais me faire arrêter, reprend-il, les yeux perdus dans le vague. Mais lorsque l’on m’a laissé passer, au contrôle des passeports, c’est un sentiment de tristesse qui m’a submergé. J’étais libre, certes, mais j’allais quitter ma ville, peut-être pour toujours. Puis l’avion a décollé. C’était la nuit, Hong Kong scintillait de mille feux. Je n’avais jamais rien vu d’aussi beau. J’ai pleuré pendant tout le vol. » Submergé par l’émotion, il marque une rapide pause. Puis il continue. « Tant que le Parti communiste chinois restera au pouvoir, revenir à Hong Kong sera impossible, sanglote-t-il. Certains dissidents chinois exilés à l’étranger m’ont prévenu : il est possible que mes cheveux soient gris le jour où je rentrerai chez moi. Cela prendra le temps qu’il faudra. Hong Kong sera libre, et je reviendrai chez moi. » Tapi dans le dédale des canyons urbains de Hong Kong ou sur les rives du détroit de Taïwan, le cœur de la liberté hongkongaise bat plus faiblement que jamais. Mais il bat toujours.