(Jakarta) Le nouveau code pénal indonésien qui criminalise les relations sexuelles hors mariage attise les inquiétudes de la communauté LGBTQ de l’archipel d’Asie du Sud-Est, déjà aux prises avec de multiples discriminations.

« La situation était déjà mauvaise. Les gens pouvaient subir des perquisitions à leur domicile. Ce n’est pas systématique, mais ça arrive », indique à l’AFP Dédé Oetomo, activiste du groupe de défense des droits LGBTQ GAYa NUSANTARA.

Mais ce nouveau code pénal « est le coup de grâce », craint-il.

La réforme du code pénal votée mardi par le parlement indonésien rend passibles d’un an de prison les relations sexuelles hors mariage, et de six mois de prison la cohabitation des couples non mariés.

Ces nouveaux « crimes » ne pourront être dénoncés que par le conjoint, les parents ou les enfants des intéressés, mais ils traduisent un glissement ultraconservateur dans un pays longtemps salué pour sa tolérance.  

L’Indonésie, plus grand pays musulman au monde, a longtemps privilégié un islam modéré. Et sa constitution reconnaît cinq autres religions.

L’homosexualité n’est pas illégale dans l’archipel sauf dans l’armée et la police, et la province conservatrice d’Aceh, au nord de l’île de Sumatra, qui applique la charia.

Mais ces nouveaux articles risquent de mettre en danger la communauté, dans le pays qui n’autorise pas le mariage entre personnes du même sexe.

 « De nombreux membres de la communauté LGBTQ cohabitent discrètement puisque le mariage entre personnes du même sexe n’est pas autorisé », souligne Robby Nasution, 30 ans, un travailleur indépendant vivant à Bali avec son compagnon.

 « Avec cette nouvelle loi, cela veut dire qu’un autre droit leur a été retiré » .

Gusti Arirang, une musicienne de 29 ans qui se décrit comme pansexuelle, regrette que la société civile ait été ignorée.

 « Ils ne nous écoutent pas. Je suis surtout déçue et en colère. Et bien sûr je pense que ce pays n’est pas sûr pour moi » .

 « Vivre dans la peur » 

À présent déjà, la communauté LGBTQ « vit dans la peur », souligne Andreas Harsono, de l’organisation de défense des droits de l’homme Human Rights Watch.

Les articles sur la sexualité extra-conjugale peuvent s’appliquer aux homosexuels, et ceux sur la cohabitation aussi, s’inquiète-t-il.

 « Si des membres de la communauté LGBTQ sont dénoncés par un proche, leur vie peut être ruinée » . Or « de nombreux trans ou homosexuels fuient leur famille à un jeune âge » .

Plusieurs dizaines de lois nationales et locales ciblaient déjà la communauté.

De nombreux homosexuels ont été arrêtés en vertu d’une loi anti-pornographie, et les discriminations sont courantes.  

Le mois dernier, deux soldats indonésiens ont reçu une peine de prison de sept mois pour avoir eu des rapports homosexuels, interdits dans l’armée car considérés comme un « inappropriés » .

En 2020, Amnistie internationale avait recensé au moins 15 membres de l’armée ou de la police indonésienne licenciés pour des relations entre personnes du même sexe au cours des dernières années.  

Dans la province d’Aceh, la seule du pays qui applique la loi islamique, les relations hors mariage, y compris entre personnes de même sexe sont punissables de coups de fouet.

L’an dernier, deux hommes ont reçu près de 80 coups chacun pour avoir entretenu des relations sexuelles.

Les premières versions du code pénal prévoyaient de rendre l’homosexualité illégale dans le pays. Si cette disposition a disparu du texte final, au grand soulagement de la communauté, plusieurs autres articles inquiètent.

Le code interdit à quiconque de « montrer ou d’offrir » des contraceptifs, comme des préservatifs, à des mineurs âgés de moins de 18 ans.

Un autre article rend punissables « les actes obscènes sur personne de sexe différent ou de même sexe » .

Les parlementaires de l’Asean pour les droits de l’Homme (APHR) ont dénoncé mercredi le nouveau code pénal comme « un nouveau pas en arrière qui viole clairement le droit à la vie privée et ouvre la possibilité à davantage de persécution de la communauté LGBTQ dans le pays » .

 « Je ne suis pas pessimiste sur l’avenir de l’Indonésie, j’essaye de garder le moral. Mais à présent, j’ai plus d’inquiétudes, et je serai plus prudente », dit la musicienne Gusti Arirang.