Dimanche, lorsque Zhang est allé manifester contre les politiques strictes de la Chine en matière de COVID-19 à Pékin, il pensait s’être préparé à passer inaperçu.

Il portait une cagoule et des lunettes de protection pour couvrir son visage. Lorsqu’il lui a semblé que des policiers en civil le suivaient, il s’est réfugié dans les buissons et a enfilé une nouvelle veste. Il a échappé à la filature. Cette nuit-là, lorsque Zhang, âgé d’une vingtaine d’années, est rentré chez lui sans avoir été arrêté, il s’est cru hors de danger.

Mais la police a appelé le lendemain. Elle savait qu’il était sorti, car elle avait pu détecter que son téléphone se trouvait dans la zone des manifestations, lui a-t-elle dit. Vingt minutes plus tard, alors qu’il ne leur avait pas dit où il vivait, trois agents ont frappé à sa porte.

Des histoires similaires ont été racontées par des manifestants dans toute la Chine cette semaine, d’après des entretiens avec les personnes visées et des groupes de défense des droits de la personne qui suivent les affaires.

Alors que les autorités cherchent à traquer, intimider et détenir ceux qui ont défié les politiques strictes du gouvernement en matière de COVID-19 le week-end dernier, elles se tournent vers de puissants outils de surveillance que l’État a passé la dernière décennie à construire pour des moments comme celui-ci, lorsqu’une partie de la population se manifeste et remet en question l’autorité du Parti communiste chinois au pouvoir.

PHOTO THOMAS PETER, ARCHIVES REUTERS

Des manifestants brandissent des feuilles blanches en guise de protestation contre les mesures sanitaires adoptées par le gouvernement chinois, le 28 novembre dernier.

La police a utilisé la reconnaissance faciale, les téléphones et des informateurs pour identifier les personnes ayant pris part aux manifestations. En général, elle oblige ceux qu’elle traque à s’engager à ne plus manifester. Les manifestants, qui n’ont souvent pas l’habitude d’être suivis, se sont dits déconcertés par la façon dont ils avaient été découverts.

Par crainte de nouvelles répercussions, beaucoup ont supprimé les plateformes et applications étrangères comme Telegram, utilisées pour coordonner et diffuser des images des manifestations à l’étranger.

Surveillance tentaculaire

La police chinoise a mis en place l’un des systèmes de surveillance les plus sophistiqués au monde. Elle a accroché des caméras par millions aux coins des rues et aux entrées des bâtiments. Elle a acheté un puissant logiciel de reconnaissance faciale et l’a programmé pour identifier les citoyens qui vivent à proximité. Un logiciel spécial agrège les données et les images qui sont recueillies.

Bien que la mise en place du système de surveillance ne soit pas un secret, pour beaucoup de Chinois, elle semble lointaine. La police l’utilise plus souvent pour traquer les dissidents, les minorités ethniques et les travailleurs migrants. Nombreux sont ceux qui le soutiennent en pensant que si on n’a rien fait de mal, on n’a rien à cacher. Les interrogatoires de la semaine dernière pourraient ébranler cette idée.

C’est la première fois que la surveillance d’État vise directement un grand nombre de personnes de la classe moyenne dans les villes les plus riches de Chine. Si beaucoup ont l’expérience de la censure — et ont prouvé cette semaine qu’ils arrivaient parfois à la contourner —, une visite de la police à domicile est moins courante et plus intimidante.

Nous entendons des histoires de policiers qui se présentent sur le pas de la porte des gens pour leur demander où ils se trouvaient pendant les manifestations, et cela semble basé sur les preuves recueillies par la surveillance de masse.

Alkan Akad, chercheur sur la Chine d’Amnistie internationale

La technologie « Big Brother » de la Chine n’est jamais éteinte, et le gouvernement espère qu’elle va maintenant montrer son efficacité pour étouffer l’agitation, a-t-il ajouté.

Les marches et les manifestations ont été parmi les plus étendues et les plus ouvertement politisées depuis celles de 1989, que Pékin avait réprimées par la force militaire meurtrière place Tiananmen. Aujourd’hui, les autorités chinoises peuvent étouffer l’agitation en utilisant la technologie de pointe pour cibler les organisateurs et les mécontents les plus francs et les placer en détention. Les partisans et les spectateurs s’en sortent souvent avec une menace sévère.

Le nouveau visage de la répression

L’expérience de Zhang n’est pas rare. S’il connaissait les caméras de reconnaissance faciale qui encombrent les espaces publics chinois, il avait sous-estimé les traceurs téléphoniques. Ces appareils, de minuscules boîtes munies d’antennes, sont beaucoup plus difficiles à détecter. Imitant une tour de téléphonie mobile, ils se connectent aux téléphones de tous les passants et enregistrent les données pour que la police puisse les vérifier.

Néanmoins, Zhang, qui, comme d’autres manifestants interrogés pour cet article, a refusé de donner son nom complet de crainte de subir des représailles policières, a eu de la chance. Après un interrogatoire musclé et un avertissement de ne plus participer à une manifestation, la police a quitté son appartement.

Il a déclaré que cette épreuve l’avait « terrifié » et qu’il pensait qu’elle serait efficace pour freiner l’élan que les rassemblements avaient suscité. « Il va être très difficile de mobiliser à nouveau les gens », a-t-il dit. « À ce stade, les gens vont quitter les rues. »

PHOTO GILLES SABRIÉ, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

Un moniteur montre un logiciel de reconnaissance faciale à l’œuvre à Pékin, en mai 2018.

Pour d’autres, c’est leur visage qui les a trahis. Un homme, Wang, qui a rejoint les manifestations à Pékin, a déclaré avoir reçu un appel d’avertissement de la police deux jours après le rassemblement de dimanche. On lui a dit qu’il avait été identifié grâce aux technologies de reconnaissance faciale.

Contrairement aux autres manifestants de Pékin, Wang ne s’est pas couvert le visage avec un chapeau ou des lunettes de soleil, et il a enlevé son masque médical à un moment donné de la manifestation. Il a déclaré qu’il n’était pas surpris que la police ait pu l’identifier, mais que l’utilisation de cette technologie le mettait mal à l’aise. « Je connaissais les risques d’aller à un tel rassemblement », a-t-il dit. « S’ils veulent nous trouver, ils peuvent assurément y parvenir. »

L’appel téléphonique n’a duré que 10 minutes, mais le policier a fait de son mieux pour l’intimider : « Il a affirmé clairement qu’il n’y aurait pas de deuxième chance. »

Après avoir été arrêtés ou approchés par la police, de nombreux manifestants ont renoncé à utiliser des VPN (réseaux privés virtuels) ou d’autres applications et plateformes étrangères comme Telegram et Signal. Ils craignent, selon eux, que maintenant qu’ils sont dans le collimateur des autorités, les logiciels qu’ils utilisent sur leurs téléphones ne soient surveillés de plus près, ce qui entraînerait une plus grande attention de la part de la police et une éventuelle détention.

Entre dissuasion et intimidation

Pour de nombreux manifestants, le choc de l’identification a fonctionné comme une tactique d’intimidation à part entière.

Une femme nommée Wang, une cinéaste d’une vingtaine d’années, a déclaré avoir rejoint un groupe d’amis à Pékin dimanche soir. Ensemble, ils ont pris des précautions : ils ont couvert leurs visages de masques médicaux, pris un taxi à plusieurs kilomètres de là et marché jusqu’au site d’une veillée. Même s’ils avaient été avertis d’éteindre leur téléphone, ils se sont contentés de désactiver les fonctions GPS et Face ID.

Nous avons pensé à ce moment-là qu’il y avait tellement de gens. Pensez-y, comment pourraient-ils être en mesure de les trouver tous ? Comment pourraient-ils avoir l’énergie nécessaire pour les attraper tous ?

Wang, manifestante à Pékin

Elle et ses amis ont été surpris lorsque plusieurs d’entre eux ont reçu des appels téléphoniques ou des visites de la police. Certains ont été contraints d’aider la police dans son enquête en se rendant au poste.

« Je pense que mes amis, s’il y a une prochaine fois, n’oseront pas y aller », a-t-elle dit.

Pourtant, Wang a réussi à passer entre les mailles du filet. Cette nuit-là, elle a utilisé un téléphone dont le numéro n’était pas relié à des systèmes susceptibles de l’identifier, comme le logiciel de code sanitaire du pays utilisé pour suivre les cas de COVID-19 et veiller à ce que les gens se fassent régulièrement tester dans les zones d’épidémie.

Elle n’a pas été découragée par son expérience.

« Je vais quand même y aller ; si la police me trouve, on verra », a-t-elle déclaré. Lorsqu’on lui a demandé si elle se rendrait à nouveau à un rassemblement public, elle a ajouté : « Je pense simplement qu’il faut y aller. »

Cet article a été initialement publié dans le New York Times.

En savoir plus
  • 60 000
    Des manifestants chinois ont tenté de révéler l’identité de policiers en guise de riposte. Cette semaine, une liste des identités d’environ 60 000 policiers de Shanghai a été diffusée dans certains groupes Telegram.
    source : The New York Times