La police indienne multiplie les pressions contre un journaliste qui avait précipité une crise internationale embarrassante pour le premier ministre Narendra Modi en attirant l’attention sur les propos critiquant Mahomet d’une porte-parole de son parti.

L’action des forces de l’ordre contre Mohammed Zubair, qui est détenu depuis le 27 juin, est décriée par des observateurs de la vie politique indienne comme une vengeance exercée depuis le sommet de l’État.

« Ce qu’on lui reproche est absurde. Le BJP [Bharatiya Jamata Party] ne tolère pas la moindre critique », relève en entrevue Salil Tripathi, écrivain et journaliste établi à New York, en évoquant la formation de M. Modi.

PHOTO SAURABH DAS, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Le premier ministre indien Narendra Modi

Le quotidien indien The Hindu va dans le même sens dans un récent éditorial en relevant qu’il s’agit d’« une nouvelle illustration de l’intolérance caractéristique du régime » et de son « antipathie » pour toute personne osant critiquer ses attaques répétées contre les minorités religieuses du pays.

Contre la désinformation

M. Zubair, qui est l’un des cofondateurs d’un site, Alt News, visant à contrer les tentatives de désinformation et la propagande haineuse, s’est d’abord vu reprocher par la police de New Delhi d’avoir « insulté les croyances religieuses hindoues » dans un tweet datant de quatre ans.

Il avait alors relayé une photo tirée d’un film indien tourné 40 ans plus tôt dans lequel un établissement était renommé en utilisant le nom du dieu Hanuman.

La substitution, qui ne peut d’aucune façon être vue comme une insulte, selon The Hindu, a suscité l’ire d’un internaute anonyme qui a porté plainte à partir d’un compte Twitter ne comptant pratiquement aucun abonné.

Le journaliste âgé de 39 ans est aussi visé par la police de l’État de l’Uttar Pradesh, dans le nord du pays, pour un tweet prenant à partie trois dirigeants nationalistes hindous dénoncés comme des « propagateurs de haine ».

Lors d’une audience devant la Cour suprême visant à lui permettre de recouvrer temporairement sa liberté, l’avocat du journaliste, Colin Gonsalves, a plaidé la semaine dernière que son arrestation était une « nouvelle stratégie de la police » pour faire taire les critiques.

« Le but est de limiter la liberté d’expression de tenants de la laïcité qui osent s’opposer aux promoteurs du communautarisme et de leur faire peur de manière à ce qu’ils n’osent plus protester », a-t-il plaidé, selon le compte rendu d’un site indien couvrant les questions juridiques.

Bien que le tribunal ait favorablement accueilli la demande, le journaliste demeure détenu en raison de la procédure distincte en cours à New Delhi.

Le cofondateur d’Alt News, qui compte un demi-million d’abonnés sur Twitter, avait déclenché un scandale fin mai en donnant un large écho aux propos d’une porte-parole du BJP, Nupur Sharma, qui avait raillé en ondes la relation entre Mahomet et sa plus jeune femme.

Scandale autour de propos sur Mahomet

Des citoyens musulmans indignés ont manifesté dans l’Uttar Pradesh contre la porte-parole avant que l’affaire ne prenne une tournure internationale avec l’intervention des dirigeants de plusieurs pays musulmans sommant le BJP de s’excuser.

La porte-parole ainsi qu’un autre représentant du parti qui avait relayé ses propos ont finalement été écartés, suscitant l’indignation de nationalistes hindous furieux à l’encontre de M. Zubair.

PHOTO ANUSHREE FADNAVIS, REUTERS

Des manifestants musulmans réclament l’arrestation de Nupur Sharma pour ses propos sur Mahomet.

Les tensions suscitées par la crise ont aussi contribué fin juin à une attaque sordide survenue dans l’État du Rajasthan, où deux hommes musulmans sont accusés d’avoir tranché la tête d’un commerçant hindou ayant tweeté son soutien à Nupur Sharma.

Un responsable local a plaidé pour que Narendra Modi lance un appel au calme en relevant que « la tension monte dans les petites villes et le gouffre entre les communautés s’élargit ».

Meenakshi Ganguly, qui est responsable de l’Asie du Sud à Human Rights Watch, a noté la semaine dernière dans une analyse parue en ligne que le gouvernement indien avait toujours eu tendance à minimiser les critiques de la « discrimination systémique » qu’il encourage.

Un pas dans la bonne direction

La situation a changé, maintenant que des partenaires stratégiques de l’Inde montrent leur irritation. Elle pousse New Dehli à prendre des mesures plus musclées, non pas, ironise la militante, pour faire cesser les abus, mais plutôt pour « faire taire les critiques capables de rejoindre un auditoire international ».

Mme Ganguly prévient que les pays collaborant avec le régime de Narendra Modi devraient s’assurer qu’il respecte ses engagements en matière de respect des droits de la personne.

L’Allemagne est intervenue notamment en ce sens dans les derniers jours en relevant que l’Inde se targue d’être « la plus grande démocratie du monde » et devrait être sensible à ce titre à l’importance de la liberté d’expression et de la liberté de la presse.

M. Tripathi, qui s’alarme de voir qu’un nombre croissant de ses correspondants indiens n’osent plus communiquer avec lui que par des applications cryptées par peur de représailles, pense que la réflexion doit aller encore plus loin.

Les dirigeants étrangers, dit-il, « doivent réévaluer s’il est toujours opportun de dire que l’Inde est une vraie démocratie ».

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    Score sur 100 attribué à l’Inde par l’organisation américaine Freedom House, qui évalue les libertés politiques et les droits civiques