La junte qui a pris le contrôle de la Birmanie début février a tué un nombre record de manifestants au cours de la fin de semaine, alors que ses dirigeants soulignaient avec faste la traditionnelle « Journée des forces armées », marquant une nouvelle aggravation de la crise.

Le général Min Aung Hlaing, qui chapeaute la junte, a reçu samedi des dignitaires étrangers lors d’un dîner en plein air dans la capitale, Naypyidaw, en plus d’assister à un défilé militaire mettant notamment en valeur l’arsenal utilisé depuis deux mois pour tenter de décourager toute contestation populaire.

Jean-François Rancourt, spécialiste de la Birmanie rattaché à l’Université de Montréal, note que les cérémonies ont été utilisées par les militaires pour illustrer le fait qu’ils continuent de bénéficier de l’appui de plusieurs pays clés, dont la Chine et la Russie, malgré la multiplication des dénonciations sur la scène internationale.

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Un défilé militaire s’est tenu samedi à Naypyidaw, en Birmanie, pour souligner la traditionnelle « Journée des forces armées ».

Selon les Nations unies, plus d’une centaine de personnes, incluant une demi-douzaine d’enfants, ont été tuées samedi, le plus important total enregistré depuis le début des manifestations.

Le Rapporteur spécial sur la situation des droits de la personne en Birmanie, Tom Andrews, a accusé les forces de sécurité birmanes de commettre « un meurtre de masse » dans le pays asiatique.

Parmi les victimes de la répression samedi figurait notamment un vendeur ambulant qui agissait comme vigile dans un quartier de la ville de Mandalay.

Des médias locaux rapportent que l’homme de 40 ans, père de quatre enfants, a été grièvement blessé par balle lors d’un raid des militaires, qui l’ont ensuite traîné jusqu’à une pile de pneus en feu pour le brûler.

PHOTO FACEBOOK/AGENCE FRANCE-PRESSE

Cette photo publiée lundi sur Facebook provenant d’une source anonyme montre des funérailles conjointes de trois manifestants à Monywa, en Birmanie, abattus lors de la répression d’une manifestation contre le coup d’État militaire.

Des morts par centaines

M. Rancourt note que ce type d’acte de cruauté vise à terroriser la population, qui continue de prendre la rue même si plus de 450 personnes ont été tuées et plus de 2500 autres ont été emprisonnées, selon une organisation locale de défense des prisonniers politiques.

Il n’y a pas vraiment de nouvelles variables qui permettent de penser que la répression va s’arrêter. Je ne suis pas très optimiste pour la suite des choses.

Jean-François Rancourt, spécialiste de la Birmanie rattaché à l’Université de Montréal

La junte, qui a renversé le gouvernement civil de l’ex-récipiendaire du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi, se défend d’user d’une force excessive et prétend être forcée d’agir pour empêcher des « terroristes » de déstabiliser le pays.

Les militaires, en plus de cibler les manifestants dans des dizaines de villes, ont bombardé un village de l’État de Karen, dans le sud-est du pays, tuant trois personnes et en blessant une demi-douzaine d’autres. Des milliers de résidants affolés ont fui de l’autre côté de la frontière, en Thaïlande.

PHOTO KAREN INFORMATION CENTER/AGENCE FRANCE-PRESSE

Des ruines dans le village de Day Bu No, dans l’État de Karen, en Birmanie, à la suite d’une frappe aérienne

Un missionnaire évangélique américain présent dans la région, Dave Eubank, a indiqué dans une vidéo parue sur Twitter qu’il n’y avait pas eu de frappes aériennes de cette nature depuis 20 ans dans la région.

« Les frappes, a-t-il noté, sont survenues de nuit, ce qui montre que les capacités de l’armée ont été nettement rehaussées avec l’aide de la Chine et de la Russie », deux pays alliés fournissant les militaires en armes.

Des milliers de personnes ont fui les villes pour se rendre dans des régions excentrées sous contrôle de milices ethniques qui luttent parfois depuis des décennies avec le gouvernement central pour obtenir une plus grande autonomie.

Le gouvernement fantôme qui a été constitué par d’anciens parlementaires proches d’Aung San Suu Kyi appelle ces milices à s’allier pour renverser la junte.

Des discussions ont été entreprises, mais rien n’a encore été formalisé, relève M. Rancourt, qui doute de leur capacité commune à renverser les militaires.

Sanctions renforcées

La junte se montre peu sensible aux critiques de plusieurs pays occidentaux, dont le Canada, qui ont renforcé leurs sanctions contre la Birmanie, alors que le Conseil de sécurité des Nations unies se borne, faute de consensus, à dénoncer la violence sans adopter de mesures concrètes pour infléchir l’évolution du conflit.

Les États-Unis ont néanmoins donné un nouveau tour de vis lundi en annonçant la suspension d’un accord commercial qui avait été conclu en 2013 dans une période où le régime cherchait à se doter d’un vernis démocratique pour favoriser la levée des sanctions économiques.