(Rangoun) Les forces de sécurité ont rapidement dispersé des manifestations en faveur de la démocratie mardi en Birmanie après avoir encerclé des centaines de contestataires dans le centre-ville de Rangoun la nuit précédente, multipliant les raids et les arrestations.

Des rassemblements épars ont eu lieu dans le pays, écourtés à l’aide de gaz lacrymogène et de grenades assourdissantes, d’après des médias locaux. Aucune violence n’a été signalée, contrairement à la veille.

Dans la nuit de lundi à mardi, des centaines de contestataires, dont de nombreuses Birmanes sorties célébrer la Journée internationale des droits des femmes, ont été acculés pendant des heures dans le quartier de Sanchaung à Rangoun, la capitale économique.

Appartements fouillés, opposants arrêtés

Les forces de sécurité ont fouillé les appartements à la recherche de manifestants et des détonations ont été régulièrement entendues.

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Un résident de Yangon, touché par des balles de caoutchouc tirées par les forces de sécurité, reçoit les premiers soins après que la police ait détruit des barricades, le 9 mars 2021.

Quiconque sera surpris en train de cacher des protestataires sera puni, avaient averti les médias d’État.

« La police a inspecté une par une toutes les habitations de la rue. Elle est venue chez nous, mais nous n’avions caché personne » et elle est repartie, a raconté un résident.  

Les policiers « nous ont dit de ne pas les regarder, sinon ils allaient tirer », a déclaré un autre, ajoutant que les logements où avait été hissé le drapeau rouge de la Ligue nationale pour la démocratie (LND), le parti d’Aung San Suu Kyi, avaient été particulièrement ciblés.

Plusieurs dizaines de personnes ont été arrêtées, selon des témoignages recueillis par l’AFP.

« Libérez les étudiants ! »

Pour soutenir les manifestants assiégés, des centaines d’habitants de Rangoun ont bravé le couvre-feu et sont descendus dans les rues. « Libérez les étudiants ! », ont-ils scandé.

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Un manifestant montrant une affiche décrivant comme un meurtrier le chef des putschistes le général Min Aung Hlaing, durant une manifestation contre le coup d’État militaire le 9 mars à Yangon.

Les contestataires ont pu quitter le quartier aux premières heures du jour.

« La patience du gouvernement est épuisée », ont mis en garde les médias d’État après cinq semaines de manifestations quotidiennes pour la démocratie.

Les évènements de Sanchaung ont conduit à un nouveau concert de protestations internationales, les Nations unies exhortant l’armée à « la retenue maximale ».

La junte est plus déterminée que jamais à éteindre l’insurrection pacifique contre le coup d’État qui a renversé Aung San Suu Kyi le 1er février.

Mort durant un interrogatoire

Trois manifestants ont été tués lundi et plusieurs blessés, tandis qu’un membre de la LND ayant eu des liens avec le gouvernement civil, Zaw Myat Linn, est mort mardi au cours d’un interrogatoire après son interpellation, a annoncé l’Association d’assistance aux prisonniers politiques (AAPP), selon laquelle au moins 60 civils ont péri depuis le putsch.   

La junte, qui explique son passage en force en alléguant de vastes fraudes aux législatives de novembre massivement remportées par le parti d’Aung San Suu Kyi, nie quant à elle toute implication dans la mort de civils.

Plus de 1800 personnes ont en outre été arrêtées ces dernières semaines. L’économiste australien Sean Turnell, qui a conseillé Aung San Suu Kyi et a été appréhendé peu après le coup d’État, est toujours en détention.  

« Il a tenté de fuir […] Des données économiques secrètes de l’État ont été trouvées sur lui », ont assuré les médias d’État.

Nouveau raid contre un média

ONG, médias, responsables politiques ont été visés par les raids des forces de sécurité qui se sont multipliés ces derniers jours.

Mardi, une nouvelle opération de police contre les médias a cette fois pris pour cible Mizzima, qui, comme d’autres organes de presse indépendants (Birmanie Now, 7-Day, DVB and Khit Thit Media), s’est vu retirer sa licence de publication.  

La LND est aussi particulièrement dans le collimateur avec de nombreux responsables arrêtés ces derniers jours et un représentant local tué.

Les militaires ont confirmé avoir pris le contrôle d’hôpitaux publics et de campus universitaires « à la demande de citoyens qui ne veulent pas d’instabilité ».

Médecins, enseignants, avocats, cheminots se sont mis en grève depuis le coup d’État, perturbant les activités de nombreux secteurs de la fragile économie birmane avec des bureaux ministériels vides, des écoles et des hôpitaux fermés et des banques dans l’incapacité de fonctionner.

La junte a d’ailleurs mis en garde les fonctionnaires : ceux qui n’auront pas repris le travail à compter du 8 mars seront licenciés.

La junte désavouée par un autre diplomate birman

Un nouveau coup diplomatique a été porté aux généraux putschistes : l’ambassadeur de Birmanie en Grande-Bretagne a suivi son homologue de l’ONU. Il s’est désolidarisé lundi du régime, réclamant « la libération d’Aung San Suu Kyi », et a conséquence été rappelé par son gouvernement.

Les militaires font la sourde oreille face au concert de protestations de la communauté internationale, divisée sur la réponse à apporter.

La Grande-Bretagne, les États-Unis et d’autres pays occidentaux ont imposé des sanctions ciblées. Mais la Chine et la Russie, des alliées traditionnelles de l’armée birmane, ne condamnent pas officiellement le coup d’État.

Le Conseil de sécurité de l’ONU n’a donc pas produit vendredi de déclaration commune, mais des négociations sont en cours depuis plusieurs jours pour trouver un accord sur un texte.