Disparue, puis réapparue dans des circonstances douteuses, la championne de tennis Peng Shuai est le nouveau visage du mouvement #metoo en Chine. Retour sur une vague qui dérange le régime de Xi Jinping.

La première, c’était Luo Xixi, étudiante à l’Université Beihang à Pékin, qui a accusé son conseiller universitaire de pressions de nature sexuelle contre elle-même et plusieurs autres jeunes femmes.

C’était en janvier 2018. La tempête Harvey Weinstein, ce producteur d’Hollywood accusé d’agressions sexuelles à répétition, venait tout juste de déferler sur les États-Unis.

Le mouvement #metoo se répandait sur la planète sous différents mots-clics, dont le mot-clic français #balancetonporc.

Inspirée par ces exemples, Luo Xixi a décidé de plonger, elle aussi. Elle a dénoncé son conseiller Chen Xiaowu sur le réseau Weibo, le Twitter chinois. C’était la première fois qu’une victime de harcèlement sexuel osait s’afficher sous son propre nom en Chine.

La suite a pris des allures de feu de brousse. En quelques jours, la publication a été relayée par plus de 3 millions de personnes. D’autres victimes sont sorties du placard.

Dans la ligne de mire des dénonciatrices : des vedettes des médias, un moine dirigeant une association bouddhiste, des organisations philanthropiques, ou encore des stars du divertissement.

Alors que les autorités tentaient d’éteindre l’incendie en bloquant les publications, le mouvement de dénonciation s’est présenté sous un nouveau mot-clic : #rizlapin. Deux mots qui, en mandarin, sonnent comme « me too ».

Un choc

« La publication de Luo Xixi a causé un immense choc », se souvient Lü Pin, qui a publié un magazine féministe chinois en ligne, Feminist Voices, de 2009 à 2018.

PHOTO FOURNIE PAR LÜ PIN

Lü Pin

Jusque-là, explique-t-elle en entrevue téléphonique, le harcèlement sexuel faisait partie du décor en Chine.

La société s’attendait à ce qu’une femme subisse les avances de son superviseur, on pouvait même trouver ça romantique.

Lü Pin

Pourtant, ces relations forcées « ne sont pas romantiques, elles sont abusives », souligne celle qui s’est depuis exilée aux États-Unis et poursuit des études doctorales à l’Université Rutgers, au New Jersey.

À l’époque, quelque 9000 étudiants et diplômés avaient signé une pétition demandant à l’université pékinoise de mettre un frein au harcèlement sexuel sur son campus.

Le courage de Luo Xixi a porté ses fruits. Le gouvernement chinois a soumis les universités à des règles plus claires. « Les professeurs n’ont plus le droit d’entretenir des relations intimes avec des étudiants, au risque de perdre leur emploi », souligne Lü Pin. Le conseiller universitaire dénoncé s’est même fait montrer la porte.

Blocage judiciaire

Le hic, c’est que le système judiciaire, lui, ne suit pas, déplore Lü Pin. Et que les causes de harcèlement sexuel sont généralement déboutées en cour.

En septembre dernier, la scénariste Zhou Xiaoxuan, une autre figure de proue du mouvement #metoo en Chine, a perdu sa cause devant un tribunal de première instance, qui a conclu à un non-lieu, faute de preuves.

PHOTO NOEL CELIS, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Zhou Xiaoxuan et des manifestantes à la cour de Pékin, en décembre 2020

C’est en 2018, au cœur de la tempête #metoo lancée par Luo Xixi, que Zhou Xiaoxuan avait accusé un présentateur de télévision vedette de l’avoir agressée sexuellement dans une loge de maquillage alors qu’elle était stagiaire pour le réseau national CCTV, en 2014.

La jeune femme était alors âgée de 21 ans. Elle en a 28 aujourd’hui. Le présentateur Zhu Jun a depuis disparu des écrans. Le régime l’a écarté discrètement, note Lü Pin. Mais cela ne signifie pas que les dirigeants chinois souhaitent qu’il soit condamné par la justice.

Zhou Xiaoxuan est devenue une militante très active pour les droits des femmes, et une éventuelle victoire risquait d’inspirer d’autres femmes à suivre son exemple, estime Lü Pin.

Agresseur haut placé

Le 2 novembre, la championne de tennis Peng Shuai a porté le mouvement #metoo chinois vers une nouvelle dimension.

D’abord, parce qu’elle est l’un des visages les plus connus de la Chine à l’étranger. Mais aussi parce que l’homme qu’elle accuse de l’avoir agressée, l’ancien vice-premier ministre Zhang Gaoli, est l’un des apparatchiks les plus puissants du régime chinois.

PHOTO JEWEL SAMAD, AGENCE FRANCE-PRESSE

L’ancien vice-premier ministre de la Chine Zhang Gaoli

« Ces gens-là vivent derrière les coulisses, très discrètement, on ne connaît rien de leur vie privée », souligne Lü Pin.

« C’est une affaire hyper délicate », dit-elle.

C’est d’ailleurs ce qui explique la « disparition » soudaine de la joueuse de tennis, dont la publication a été immédiatement effacée du réseau chinois.

« Peng Shuai a eu le courage de porter plainte contre un dirigeant haut placé du Parti communiste chinois », souligne Benedict Rogers, journaliste et spécialiste de l’Asie de l’Est, joint à Londres mardi.

Elle a fracassé un nouveau plafond de verre. Mais il y avait un prix à payer…

Mouvement étouffé

La réaction des dirigeants chinois face à la vague de dénonciations d’agressions sexuelles est double. D’un côté, les institutions sanctionnent les hommes visés par le mouvement #metoo en Chine. Mais cela ne signifie pas que ce mouvement puisse pour autant s’exprimer librement, loin de là.

Le gouvernement ne veut pas que les gens s’organisent pour prendre leur vie en main, il préfère qu’ils attendent passivement qu’on règle leurs problèmes et que l’État ne soit jamais tenu responsable.

Lü Pin

Le régime chinois craint tout « acte de contestation de la part de la société civile et toute responsabilisation du peuple », renchérit Benedict Rogers.

Dans le cas de Peng Shuai, les autorités chinoises ont surtout peur de l’effet d’entraînement, note Benedict Rogers. On ne veut pas que d’autres dénonciations visent d’autres dignitaires de haut rang.

Poudre aux yeux

Devant les appels au boycottage renouvelés, à moins de trois mois de l’ouverture des Jeux de Pékin, le gouvernement chinois tente de se faire rassurant et de balayer l’affaire Peng Shuai sous le tapis. Après avoir disparu du radar pendant plus de deux semaines, la championne de tennis s’est entretenue par vidéoconférence avec le président du Comité international olympique Thomas Bach, le dimanche 21 novembre. Selon le CIO, elle aurait assuré qu’elle était bel et bien chez elle, à Pékin, mais souhaitait que sa vie privée soit respectée. Une seule image a émergé de cette conversation : on y voit une Peng Shuai afficher un large sourire, entourée d’animaux en peluche. Pour Benedict Rogers, cet entretien n’était que de la poudre aux yeux destinée à rassurer le public sur le sort de Peng Shuai. « Tout était scénarisé, nous avons la preuve qu’elle est vivante, mais pas qu’elle est libre. » C’est aussi ce que croit la militante chinoise Lü Pin. « Elle souriait à l’écran, elle n’avait pas le choix, elle devait jouer la comédie, mais si vous connaissez la politique chinoise, vous savez que tout ça, c’est de la frime. »

Rectificatif
Dans notre texte sur le #metoo chinois publié vendredi, Zhang Gaoli était identifié comme ancien premier ministre de la Chine. En réalité, il a exercé les fonctions de premier vice-premier ministre entre 2013 et 2018. Nos excuses.