Le président des Philippines, Rodrigo Duterte, qui se retrouve dans le collimateur de la Cour pénale internationale (CPI) en raison des exactions commises sous sa gouverne par les forces de sécurité, est à la manœuvre alors que la période de mise en candidature pour la prochaine élection nationale tire à sa fin.

Le politicien, qui ne peut solliciter de second mandat à la tête du pays, avait laissé planer en août l’idée qu’il se présenterait comme vice-président lors du scrutin, prévu en mai.

Il a cependant fait marche arrière samedi en évoquant un sondage suggérant que 60 % de la population considère qu’une telle démarche serait contraire aux dispositions de la Constitution visant à éviter les abus de pouvoir.

« Conformément à la volonté du peuple, qui m’a placé à la présidence il y a plusieurs années, je dis aujourd’hui à mes compatriotes que je vais me conformer à ce qu’ils veulent et j’annonce ma retraite de la politique », a indiqué le président.

Rodrigo Duterte, qui terminera officiellement son mandat en juin, a souligné du même souffle qu’il entendait soutenir la candidature d’un sénateur allié, Christopher Go, à la vice-présidence.

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Rodrigo Duterte (à gauche) a laissé entendre qu’il allait soutenir la candidature d’un sénateur allié, Christopher Go, à la vice-présidence.

Il a aussi suggéré qu’il appuierait sa fille, Sara Duterte-Carpio, pour le remplacer à la tête du pays.

La politicienne est actuellement mairesse de Davao, une importante ville du sud du pays où Rodrigo Duterte a d’abord expérimenté l’approche musclée qui l’a mené au pouvoir à Manille.

Elle laisse planer le doute sur ses intentions alors que la période de candidature se termine vendredi, mais pourrait stratégiquement officialiser son intérêt quelques semaines plus tard en profitant d’un éventuel désistement comme l’avait fait son père en 2016.

D’autres candidats, incluant Ferdinand Marcos Jr, fils de l’ex-dictateur du même nom, et Manny Pacquiao, un ex-champion de boxe qui siège comme sénateur, ont déjà annoncé leur intention de briguer la présidence.

Protection recherchée

Tom Smith, spécialiste des Philippines qui enseigne à l’Université de Portsmouth, au Royaume-Uni, pense que Rodrigo Duterte entend continuer à jouer un rôle actif sur la scène politique « en tirant les ficelles dans l’ombre ».

Une victoire de sa fille lui assurerait, dit-il, une protection maximale contre la CPI, qui a annoncé en septembre l’ouverture d’une enquête formelle pour crimes contre l’humanité en lien avec les milliers de morts suscités par la « guerre contre la drogue » du président.

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Sara Duterte-Carpio, mairesse de Davao et fille du président sortant Rodrigo Duterte

À son arrivée au pouvoir, l’homme fort philippin avait donné ordre aux forces de police de s’attaquer agressivement aux trafiquants en promettant, à plusieurs reprises, de les amnistier en cas de poursuites.

Les exécutions extrajudiciaires se sont rapidement multipliées, suscitant les dénonciations répétées d’organisations de défense des droits de la personne, qui accusent le régime d’encourager l’élimination arbitraire de milliers de Philippins n’ayant souvent qu’un lien ténu, voire aucun lien, avec les milieux criminels.

Carlos Conde, analyste d’Amnistie internationale, relève que Rodrigo Duterte est « très préoccupé » par l’enquête de la CPI même s’il a déclaré à plusieurs reprises que le tribunal n’avait aucune légitimité pour intervenir dans les affaires du pays.

Le but premier de la candidature de la fille de Rodrigo Duterte, si elle se concrétise, sera sans doute de « protéger son père ».

Elle se battra jusqu’à la mort pour empêcher qu’il soit arrêté.

Carlos Conde, analyste d’Amnistie internationale, à propos de Sara Duterte-Carpio

M. Conde espère que l’annonce officielle du départ politique du président aura pour effet de freiner les ravages de la « guerre contre la drogue », mais rien n’est moins sûr.

« Il a de nouveau défendu sa politique à ce sujet à la télévision nationale il y a quelques jours en réitérant sa promesse aux policiers qu’il ferait tout pour les protéger », relate-t-il.

Surprise de dernière minute ?

Bien que la fille de Rodrigo Duterte soit pour l’heure la favorite dans les sondages, il n’est pas exclu que la multiplication de candidats issus de la droite dure ait pour effet de diviser le vote, relève Tom Smith.

La vice-présidente Leni Robredo, une critique virulente du président sortant qui avait été élue indépendamment du chef d’État, pourrait en bénéficier et créer la surprise, relève l’analyste, qui se montre cependant prudent.

Les élections sont en mai et beaucoup de choses peuvent se passer d’ici là. Rodrigo Duterte a plus d’un tour dans son sac.

Tom Smith, spécialiste des Philippines qui enseigne à l’Université de Portsmouth

Le professeur pense qu’il n’est pas impossible que la fille du président, qui a toujours défendu la famille Marcos malgré son lourd passé, s’allie par une manœuvre de dernière minute avec le fils du dictateur.

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Ferdinand Marcos Jr, fils de l’ancien dictateur philippin Ferdinand Marcos

M. Conde pense que les blessures laissées par la dictature de Marcos sont encore vives et limiteraient les chances de succès d’un tel tandem.

La candidature de Ferdinand Marcos Jr, qui avait tenté en vain de se faire élire à la vice-présidence en 2016, n’en demeure pas moins déplorable, dit-il.

« Les Marcos devraient être en train de pourrir en prison, pas en train de tenter de se faire élire », conclut le militant.