La pandémie nourrit la colère contre Narendra Modi

La pandémie de COVID-19 qui frappe l’Inde, où le nombre quotidien de morts ne cesse de croître, pourrait avoir un coût politique important à terme pour le premier ministre Narendra Modi et sa formation, le Bharatiya Janata Party (BJP).

La colère à l’encontre de l’homme fort indien continue de croître alors que le virus s’étend aux régions rurales après avoir frappé de plein fouet plusieurs grandes villes du pays, dont la capitale, New Delhi.

Le leader d’une importante association étudiante a illustré l’indignation populaire il y a quelques jours en signalant formellement à la police la « disparition » de M. Modi et de plusieurs ministres influents.

Nagesh Kariyappa a indiqué à La Presse que sa démarche visait à mettre en relief le fait que le gouvernement, après s’être félicité en début d’année d’avoir « vaincu » la COVID-19, tarde à réagir alors que des milliers de familles peinent à obtenir les ressources sanitaires requises pour traiter leurs malades.

Les Indiens sont incapables de trouver des lits, de l’oxygène, des médicaments et des vaccins, mais le gouvernement ne fait rien. Ils dorment alors que les gens meurent.

Nagesh Kariyappa, leader étudiant

Le leader étudiant dit avoir reçu des appels menaçants de la police après avoir publicisé dans les médias le fait qu’il avait réussi à enregistrer formellement un signalement du premier ministre. « Ils m’ont dit qu’ils voulaient venir me rencontrer, mais je leur ai dit que je ne souhaitais pas leur parler et que je contesterais toute accusation éventuelle en cour si ça se rend jusque-là », dit-il.

M. Modi et ses proches collaborateurs sont surtout intéressés « par la politique et leur emprise sur le pouvoir » et ont préféré concentrer leurs énergies en mars et avril sur la tenue d’élections régionales en ignorant les signes annonciateurs d’une seconde vague alimentée par un nouveau variant particulièrement contagieux.

Lourd bilan

Le nombre de cas quotidiens d’infection a rapidement augmenté pour excéder 400 000 au cours des dernières semaines avant de repartir à la baisse alors que le nombre de décès continue de croître, ayant dépassé 4500 pour la première fois mardi.

Des lieux publics ont dû être aménagés en catastrophe à divers endroits pour permettre la crémation des corps de victimes, dont le nombre est largement sous-évalué au dire de nombreux experts en santé publique.

Le Financial Times a récemment évoqué une étude suggérant que le nombre de décès imputables à la pandémie pourrait être en fait jusqu’à huit fois plus important que le total de 280 000 officiellement évoqué par les autorités gouvernementales.

L’indignation populaire face à la catastrophe est exacerbée par le fait que l’Inde, l’un des plus importants producteurs de vaccins de la planète, manque de doses après en avoir envoyé des dizaines de millions à l’étranger pour satisfaire à la demande.

Modi et le BJP veulent se donner une bonne image à l’international, mais je ne suis pas capable de trouver de vaccin pour moi, mes amis et leur famille non plus.

Nagesh Kariyappa, leader étudiant

Milan Vaishnav, un spécialiste de l’Inde rattaché au Carnegie Endowment for International Peace, à Washington, remarque que les difficultés sanitaires actuelles ont fait chuter la cote de popularité de Modi et de son gouvernement.

Elles ont probablement joué un rôle dans le fait que le BJP n’a pas réussi à faire les gains espérés lors d’élections tenues récemment dans cinq États. Il serait prématuré de conclure pour autant que l’avenir politique du premier ministre et de sa formation est compromis, prévient l’analyste.

Résilience « unique »

Les prochaines élections nationales, dit-il, sont prévues seulement en 2024, ce qui représente « pratiquement une éternité » en politique.

Narendra Modi a par ailleurs démontré, en menant son parti à des victoires concluantes aux élections de 2014 et de 2019, une résilience politique « unique » qui pourrait le servir pour remporter à terme un nouveau mandat.

Le fait que l’opposition est éclatée et que de puissants acteurs régionaux susceptibles de faire contrepoids au BJP risquent d’avoir du mal à s’unir en prévision du scrutin joue aussi en faveur du premier ministre, estime M. Vaishnav.

Une élection importante à venir au début de 2022 dans l’État de l’Uttar Pradesh, actuellement un château fort du BJP, pourrait donner une illustration de l’effet politique à plus long terme de la crise.

Il y aura certainement un coût politique à payer pour la mauvaise gestion de la pandémie, mais il est trop tôt pour dire ce qu’il sera exactement.

Milan Vaishnav, spécialiste de l’Inde

Le plus important, à court terme, est de rectifier le tir pour que la population reçoive les soins dont elle a besoin, souligne Nagesh Kariyappa, qui s’estime chanceux d’être demeuré en santé jusqu’ici.

« On prie pour que les choses s’améliorent, mais ça continue de se détériorer de jour en jour. Les gens meurent », répète-t-il pour souligner l’urgence de la situation.