En Colombie, des femmes sont payées à peine 2000 $ pour porter l’enfant d’autrui. À plusieurs reprises. Le pays se questionne aujourd’hui pour savoir comment encadrer cette pratique qui soulève bien des questions éthiques. La Cour constitutionnelle a ordonné au Congrès colombien de réglementer cette pratique.

Patricia* est infirmière et mère de deux enfants. Elle a été mère porteuse à trois reprises.

« La première fois, je l’ai fait pour un couple d’Espagnols qui était venu dans la clinique de fertilité où je travaillais. Étant infirmière, je connaissais toutes les étapes. Je suis partie à Madrid avec eux. Nous avons vécu ensemble la grossesse. Je prenais mes mesures et des hormones nécessaires tout au long. Après trois grossesses, bien sûr que mon corps est fatigué. Désormais, j’aide les familles et mères porteuses comme consultante. »

Pour sa première maternité de substitution, Patricia n’a prévenu aucun membre de sa famille. « Je leur ai dit que je partais travailler en Espagne. Quand je suis rentrée, j’ai dit la vérité. Il y a eu bien sûr des critiques et des mécontents. Mais l’important, c’est que ma mère m’a toujours soutenue. Elle s’occupait de mes enfants pendant mon absence. »

Comme Patricia – qui a accepté de raconter son expérience sous un nom d’emprunt (« Je suis sous contrat de confidentialité. Je ne suis pas censée parler du processus ») –, des centaines de femmes proposent leurs services en Colombie. On parle d’« alquiler de vientre » (location de ventre). Les réseaux sociaux sont remplis d’annonces et de messages de futures mères porteuses ou de personnes à la recherche de l’une d’entre elles. On trouve tous les types d’offre.

Une chercheuse titulaire d’un magistère en bioéthique de l’Université Javeriana, Angelica Bernal, explique que durant son enquête, elle a parlé avec « des mères porteuses qu’on a payées 10 millions de pesos, soit environ 2000 $, pour l’ensemble du processus. L’une d’entre elles n’a pas été payée et il y a d’autres femmes qui ont fait le processus jusqu’à six fois. Il est primordial de mettre en place une réglementation. Il est impossible de mettre fin au marché, il existe depuis trop longtemps en Colombie ».

Il faut assurer les droits de ces femmes. Nombreux sont les couples ou parents étrangers qui viennent chercher une mère porteuse en Colombie, car les coûts sont moins élevés.

Angelica Bernal, chercheuse titulaire d’un magistère en bioéthique de l’Université Javeriana

Il existe deux manières de devenir mère porteuse : dans l’une, la femme enceinte n’a aucun lien génétique avec l’embryon, c’est-à-dire que l’ovule fécondé appartient à une autre femme et qu’elle ne fait que l’héberger. Dans l’autre modalité, la femme donne son propre ovule et le porte. « Ce sont des femmes avec de faibles revenus. Beaucoup deviennent mères porteuses pour payer des dettes, leurs études ou pour subvenir aux besoins de leurs enfants. C’est un réel travail d’un an. Elles sont payées chaque mois. Elles ont de 20 à 30 ans et sont déjà mères. Elles ont au moins un enfant. Ce sont des femmes vulnérables. »

L’autre question, qui fait polémique sur ce thème, est bioéthique. Pour Angelica Bernal, « on parle de la capitalisation du corps de la femme et de la chosification de son corps ».

Des voix en faveur de la prohibition de la pratique

Maria Cristina Hurtado fait partie des voix en faveur de la prohibition de la pratique des mères porteuses. Cette avocate, politologue de l’Université Nationale et défenseuse des droits des femmes, des enfants et des adolescents dénonce « l’exploitation des femmes à des fins reproductives et l’achat et la vente de bébés. C’est interdit en France, en Italie et en Espagne. Le Canada interdit de rémunérer une mère porteuse ; le Québec étudie ces jours-ci le projet de loi 12 qui encadrera la gestation pour autrui. La Colombie, le Mexique et d’autres pays d’Amérique latine sont devenus le parfait marché pour cette pratique. On fait prévaloir le désir sur les droits de la personne ».

L’avocate a aussi fait partie des rédacteurs de la loi 1257 contre la violence contre les femmes. Elle justifie ses propos avec les lois en vigueur dans le Code pénal colombien. « Je considère qu’il y a plusieurs violations du droit, car le Code pénal colombien protège le principe d’autonomie personnelle dans les articles 188A et 188C. Il s’agit de la traite des êtres humains, des enfants et des adolescents. Les comportements pratiqués par les cliniques, les cabinets d’avocats et les personnes désireuses d’avoir un enfant peuvent généralement être adaptés et configurés à ces infractions. »

Peur du tourisme reproductif

Un projet de loi a été présenté au Congrès. Les débats se poursuivent. Selon Alejandro Ocampo, représentant de la Chambre et auteur du projet, l’objectif est de faire en sorte que la grossesse de substitution soit effectuée dans un cadre légal contrôlé : « Nous voulons que les gens qui y ont accès puissent le faire en toute sécurité, que ça ne devienne pas un commerce. La Colombie ne deviendra pas une usine de bébés pour le monde. On ne veut pas que les femmes accouchent pour que les gens achètent les bébés. »

D’après la chercheuse Angelica Bernal, de nombreuses Vénézuéliennes réfugiées en Colombie pour fuir leur pays d’origine proposent aussi leurs services comme mères porteuses. C’est un autre facteur qui influe sur la pratique en Colombie. « Il faut réglementer l’entrée des étrangers qui viennent pour trouver une mère porteuse. »

* Prénom fictif

Lisez « Projet de loi Le Québec, bientôt une terre fertile pour les mères porteuses ? »