La Colombie veut mettre une croix sur les exportations pétrolières et les projets d’exploitation de combustibles fossiles. Mais le pays devra trouver de nouvelles initiatives pour faire rouler son économie. À commencer par l’expansion du tourisme dans les centaines de réserves naturelles du pays. Reportage au Casanare, où les dollars du pétrole sont tranquillement remplacés par ceux de l’écotourisme… et du jaguar.

(Casanare) Traverser la savane tropicale inondable de la réserve naturelle du Casanare se mérite. Il faut des heures de route pour atteindre la plus grande réserve du pays, appelée « Hato La Aurora » et connue pour sa forte concentration d’animaux. Depuis 24 ans, ses propriétaires ont développé un modèle de safari colombien : « le safari llanero » dans les plaines orientales, dans le nord-est du pays proche de la frontière avec le Venezuela.

La réserve mesure plus de 10 000 hectares. On peut y apercevoir le grand cabiaï ou le chiguiro (le plus gros rongeur au monde), l’anaconda, le jaguar, le puma ou le jaguarondi. Plus de 300 espèces d’oiseaux ont été recensées dans cette région. Un hôtel écologique a été construit dans la réserve.

À l’heure où le monde s’interroge sur le réchauffement climatique et prend des mesures pour freiner le phénomène, cette réserve est un exemple de réussite de conservation des espèces et de leurs environnements. Le programme de protection du jaguar en est la preuve. Il attire même des équipes de scientifiques comme Angelica Diaz Pulido, biologiste et chercheuse au sein de l’organisme Neotropical Innovation.

  • Le chiguiro – aussi appelé le grand capybara – est le plus gros rongeur au monde. À l’âge adulte, il peut mesurer jusqu’à 1,3 m et peser plus de 145 lb.

    PHOTO NAJET BENRABAA, COLLABORATION SPÉCIALE

    Le chiguiro – aussi appelé le grand capybara – est le plus gros rongeur au monde. À l’âge adulte, il peut mesurer jusqu’à 1,3 m et peser plus de 145 lb.

  • Un crocodile jaune dans une lagune

    PHOTO NAJET BENRABAA, COLLABORATION SPÉCIALE

    Un crocodile jaune dans une lagune

  • Des zébus des llanos

    PHOTO NAJET BENRABAA, COLLABORATION SPÉCIALE

    Des zébus des llanos

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« Aujourd’hui, nous avons installé des caméras cachées. Nous voulons suivre l’évolution du comportement des animaux pour ensuite comparer les données avec celles collectées en 2014 », explique la chercheuse.

« Ces dernières années, plusieurs jaguars ont été photographiés et leur nombre ne cesse d’augmenter. Comme ils ne quittent plus la réserve pour chasser, vu qu’ils ont du bétail à leur disposition, ils sont ainsi moins en danger. Avant, beaucoup d’éleveurs les tuaient parce qu’ils attaquaient leur cheptel », explique Angelica Diaz Pulido.

À ce jour, 72 jaguars ont été recensés dans la réserve. Le lendemain de notre visite, trois ont été photographiés par des touristes, près d’une des lagunes de la réserve.

À l’origine du projet, un natif de la région et amoureux de la nature, Nelson Barragan. L’écotourisme est une histoire de famille, car son fils, Santiago, est devenu guide touristique de la réserve. Ensemble, ils accueillent environ 1000 touristes par an. Il y a une dizaine d’années, ils ne comptaient que trois réservations.

PHOTO NAJET BENRABAA, COLLABORATION SPÉCIALE

Nelson Barragan, fondateur du safari llanero, dans la réserve Hato La Aurora. Son fils Santiago agit comme guide touristique.

Je voulais laisser aux nouvelles générations un patrimoine naturel et culturel, nos coutumes, nos beautés naturelles. Toute notre activité économique tend vers la conservation.

Nelson Barragan, fondateur du safari llanero

D’après Santiago Barragan, tout a été pensé pour préserver l’équilibre de la nature, de l’achat de produits écoresponsables à la production d’électricité à l’aide de panneaux solaires. Le plastique est en phase d’être éliminé, les déchets sont recyclés ou transformés puis revendus.

La fin de l’exploitation pétrolière dans 10 ans ?

Si le tourisme se développe dans la région depuis une dizaine d’années, le pétrole, lui, a fait son apparition dans les années 1980. En Colombie en 2022, l’exportation d’hydrocarbures représentait 32,1 milliards de dollars américains (environ 44,1 milliards de dollars canadiens), selon le Département administratif national des statistiques (DANE). La même année, de nouveaux sites à explorer ont été découverts dans le Casanare, dont celui de la municipalité de Paz de Ariporo. Son impact sur l’environnement et le marché du travail a entraîné de nombreuses manifestations et des conflits sociaux pour les habitants de la région.

PHOTO DENNIS DRENNER, ARCHIVES BLOOMBERG

La Colombie a exporté en 2022 pour plus de 44 milliards de dollars d’hydrocarbures.

L’entreprise Perenco, exploitant anglo-français de pétrole, qui produit 21 000 barils de pétrole par jour, a par exemple été condamnée par la justice à une amende de près de 600 millions de pesos (environ 215 000 $) à cause de problèmes de pollution de l’eau, en 2019. Le président actuel, Gustavo Petro, a promis depuis 2022 la fin de l’exploitation du pétrole dans le pays pour permettre une transition vers les énergies vertes, sachant que l’énergie hydraulique est le point fort de la Colombie. Son programme de sortie du pétrole devrait être progressif et s’étendre sur 10 ans.

Pour le député Alejandro López, le tourisme doit devenir une priorité des politiques publiques de la région.

PHOTO NAJET BENRABAA, COLLABORATION SPÉCIALE

Alejandro López, député du Casanare

Si nous diversifions notre économie, nous ne dépendrons plus des revenus pétroliers directs ou indirects. Nous disposons de richesses naturelles d’exception dans le Casanare.

Alejandro López, député du Casanare

« Depuis 10 ans, nous développons le secteur du tourisme et nous voyons du changement. Nous sommes sur la bonne voie, mais il faut poursuivre les efforts », dit M. López.

Pour le moment, le tourisme, sur le plan national, représente 7,3 milliards de dollars américains (environ 10 milliards de dollars canadiens). C’est loin de ce que génère le pétrole. Mais c’est un début, sachant que la Colombie est le deuxième pays du monde pour la quantité de biodiversité, après le Brésil, et que dans plusieurs régions, il y a des trésors touristiques.

Si, dans le Casanare, on vient voir le jaguar et ses plaines, ailleurs ce sont les dauphins roses, les loutres géantes ou les oiseaux rares qui attirent l’attention. Dans le Casanare, la réserve Hato La Aurora a gagné son pari parce qu’elle a investi ses propres fonds pour se développer. Ce qui n’est pas à la portée de toutes les réserves naturelles du pays. Malgré tout, le tourisme poursuit son ascension. En Colombie, la part du tourisme dans le produit intérieur brut est passée de 6 % en 2022 à 10 % en 2023.